jeudi 3 janvier 2013

Initiation à la grammaire tem. Chapitre 3 : Le nom. Leçon 11 : Le syntagme de localisation

Dans l’impossibilité de combiner tous les symboles vocaliques avec l’accent aigu, je ne note pas l’accent sauf quand il est indispensable au raisonnement et que c’est possible au plan graphique. Il en est de même du tilde.

La femme est l’avenir de l’homme, a dit le poète. Dans ce vers célèbre d’un poème de Louis Aragon chanté par Jean Ferrat, les substantifs femme et homme ont un sens générique c’est-à-dire indéterminé. Le langage n’est pas fait que de poésie et de noms à sens indéterminé. Quand un nom intervient dans la conversation il y est, le plus souvent, avec un sens déterminé. Dans les expressions courantes telles que « la femme du voisin » ou « l’homme que tu vois » les noms femme et homme sont utilisés avec un sens déterminé. Ils donnent à voir, chacun, un individu particulier et non la classe générale des femmes ou des hommes. Dans le discours, le nom a très souvent besoin d’être déterminé. L’on procède de plusieurs manières pour déterminer un nom ; l’un des procédés consiste à le localiser par rapport à un autre nom ou par rapport à un adverbe de lieu ou de temps. Quand le repère est un nom, on a une structure morphosyntaxique à deux noms, à l’image du syntagme de coordination, mais à la différence de celui-ci, les deux noms de la structure n’on pas un statut égal, l’un des noms est au service de l’autre. Dans ce nouveau type de syntagme comment les deux noms en présence cohabitent-ils ? Comment s’effectue la pronominalisation, aussi bien du syntagme lui-même que de ses termes ?

1. Présentation du syntagme et de ses termes

Le syntagme de localisation est un syntagme de détermination. L’un des termes joue le rôle de déterminé (désormais DE) et l’autre celui de déterminant (désormais DT). Réunir deux noms dont l’un est DE et l’autre DT n’est pas la propriété du seul syntagme de localisation. Il faut donc donner les propriétés spécifiques de type de syntagme.

1.1. Dans un syntagme de localisation DT précède DE

Soit les noms aɖamɁ ‘Adam (nom propre de personne)’, koma ‘Komah (nom propre de village)’ et kooluu ‘forgeron’. Il est possible de construire le syntagme à deux noms suivant : <aɖamɁ kooluu> ‘Adam le forgeron’. Comme l’indique la traduction ce syntagme est un syntagme de qualification, kooluu jouant le rôle de qualifiant. Cet autre syntagme à deux noms est possible : <komaɁ kooluu> ‘le forgeron de Komah’. Ici, on a un syntagme de localisationkooluu joue le rôle de localisé. Dans les deux syntagmes kooluu conserve la même position mais il y assume des rôles différents : Dans <aɖamɁ kooluu> il est le DT tandis que dans <komaɁ kooluu> il est le DE. Quand un syntagme est fait de deux noms, la disposition <DE DT> est le propre de la qualification et la disposition <DT DE> celle de la localisation.

1.2. Dans un syntagme de localisation, les termes sont dans un rapport dissymétrique

Un syntagme à deux noms peut être un syntagme de coordination où les termes sont, au plan syntaxique, symétriques. Dans un syntagme de détermination et, particulièrement de localisation, les termes sont en rapport dissymétrique : l’un domine l’autre, plus concrètement DE domine DT ; De est la tête et DT la queue.

1.3. Le syntagme de localisation est une structure discrète

Le nom commun autochtone est une structure analysable en radical (Rad) et suffixe (Suf). Quand les deux éléments de base du nom sont présents on dit que le nom est saturé. Mais le nom autochtone peut se présenter sans suffixe ; réduit à son radical il est dit non-saturé.

Certaines structures morphosyntaxiques de type DT-DE peut avoir un DT non-saturé. Le DT non-saturé (Rad1) ne peut avoir une existence autonome ; il se colle au DE (Rad2-Suf2) et la structure DT-DE devient compacte {Rad1-Rad2-Suf2}. C’est ainsi que se présente, en tem, le nom composé à détermination locative. Le syntagme DT-DE, lui, a un DT saturé, si celui-ci est un nom autochtone. Il peut alors avoir une existence autonome au sein de la structure syntagmatique. A la différence du nom composé de type locatif qui est un DT-DE compact, le syntagme DT-DE est une structure dont les termes sont discrets : <{Rad1-Suf1} {Rad2-Suf2}>.

Il faut noter que les DT du syntagme DT-DE ne sont pas tous saturés. Il est interdit à un nom propre d’avoir un suffixe de genre. Le nom propre est une séquence sonore non-analysable et non saturée. Il arrive qu’un nom commun autochtone, donc analysable en Rad et Suf soit promu nom propre. Quand c’est le cas, il ne perd pas son Suf ; celui-ci est intégré au Rad pour former avec lui une séquence non-analysable. Le nouveau schème sonore est considéré comme non-saturé. Le nom propre de village, komaɁ est issu du nom commun komá (Rad = kom et Suf = ), pluriel de komre ‘jeune fromager’. Le nom propre non-analysable et donc non-saturé komáɁ peut être un DT discret au sein d’un syntagme de localisation autant que le nom commun, analysable et saturé komá. Le nom propre peut donc être un DT discret bien que non-saturé. Il en est de même du nom d’emprunt non-intégré. Peu de noms d’emprunt se transforment en structure analysable en intégrant un genre donné. Quand il est non-intégré, le nom d’emprunt est une structure dépourvue de suffixe de genre ; il est donc non-saturé. Mais cela ne l’empêche pas de servir de DT discret dans un syntagme DT-DE. Comme le nom propre, le nom d’emprunt non-intégré est marqué par une rupture dans la réalisation de la voyelle finale ; la rupture se manifeste par un coup de glotte (Ɂ) en fin de mot, quand il est en finale absolue. Ainsi comme komáɁ, nom propre de village, un nom d’emprunt tel que síkiríɁ ‘sucre’ est flanqué d’un coup de glotte. Il faut noter aussi que le DT du syntagme DT-DE n’est pas toujours un nom. Il peut être un adverbe, de lieu ou de temps, dont le rôle exclusif est de servir de repère locatif.

1.4. Garantie de l’autonomie du champ phonologique de DT

Le champ phonologique d’un nom est le domaine au sein duquel son radical, élément de tête de la structure hiérarchisée, exerce sa domination phonologique ; celle-ci se traduit par l’harmonie vocalique au sein du champ. Ce domaine est fait du radical, unité gouvernante, et des unités grammaticales qui gravitent autour de lui. Dans le syntagme DT-DE, chacun des termes a son champ phonologique. La pause virtuelle qui sépare les deux termes est le garant de l’autonomie de chaque champ phonologique. Le champ phonologique de DE est protégé par son statut de commandeur du syntagme.

Un des facteurs qui garantit le caractère discret de DT est la pause virtuelle entre DT et DE. Qu’adviendrait-il si, bien que DT soit discret, cette pause virtuelle venait à disparaître par la faute du DE ? En effet deux noms en situation de DE ne supportent pas la présence de cette pause. Il s’agit de -bu et de -tʋʋ qui, bien que discrets, sont des clitiques. Le nom bu signifie ‘enfant’, ‘progéniture’, ‘fruit’. Il peut occuper aussi bien le terme DE que le terme DT. Mais quand il est DE, il devient enclitique, c’est-à-dire qu’il s’accroche immédiatement à DT, d’où l’écriture -bu avec un tiret de liaison : <DT -bu> et, potentiellement, <bu -bu> ‘le petit-fils’.

Quant à -tʋ́ʋ qui signifie ‘propriétaire de’, ‘auteur de’, ‘maître de’, il est exclu des DT ; il ne peut être que DE. Il est donc toujours enclitique : <DT -tʋʋ>. Etant des DE, -bu et -tʋʋ ont, chacun, leurs champs phonologiques sains et saufs. Mais leur position d’enclitiques menace l’autonomie du champ phonologique du DT. Pour sauvegarder l’autonomie du champ de DT malgré l’enclise, la langue instaure un séparateur (Sép) de champs phonologiques sous la forme de n en lieu et place de la pause virtuelle. Grâce au séparateur des champs, les deux DE restent enclitiques et le champ phonologique de DT est sauf. Les syntagmes <DT -bu> et <DT -tʋʋ> deviennent alors, respectivement, <DT-n-bu> et <DT-n-tʋʋ>.

Exemples : avec le DT analysable mʋʋrɛ ‘os’ pour le DE enclitique -bu et le DT analysable fuduu ‘igname’ pour le DE enclitique -tʋʋ.

DTDEDTSépDE
mʋʋrɛ-bumʋʋrɛn-bumʋʋrɛnbubébé os
fuduu-tʋʋfuduun-tʋʋfuduundʋʋpropriétaire de l’igname

Quand il est une structure analysable, le DT dispose d’un champ phonologique. En dispose-t-il quand il est une structure non-analysable, c’est-à-dire un nom d’emprunt ou un nom propre ?

Non analysables par définition, le nom d’emprunt et le nom propre sont des structures figées insensibles à tout facteur de modification, qu’il soit interne ou externe. Ils ont donc un champ phonologique figé qui n’a, par conséquent, pas besoin d’être protégé. Avec un DT discret et non-analysable, la perte de la pause virtuelle à cause de l’enclise de DE n’est d’aucun effet pour l’autonomie de DT.

Exemples avec calʋʋ ‘arbre, sp.’ nom analysable, calʋʋɁ nom propre de village issu de calʋʋ et mangʋɁ ‘mangue’ nom d’emprunt, tous DT de -bu interprété tantôt comme ‘fruit’ tantôt comme ‘ressortissant’.

DTDEDTSépDE
calʋʋ-bucalʋʋn-bucalʋʋnbufruit de l’arbre calʋʋ
calʋʋɁ-bucalʋʋɁ -bucalʋʋburessortissant de Tchalo
mangʋɁ-bumangʋɁ -bumangʋbunoyau de la mangue

1.5. Le DT détermine le DE par la localisation

A l’article chien, un dictionnaire ne donne qu’un sens indéterminé au nom. Pour que chien soit déterminé il faut qu’il entre dans un contexte situationnel (par exemple dans [en sortant, Jean laisse le chien à la maison]) ou dans un contexte discursif (par exemple après [un chien a aboyé] on peut avoir le chien (en question) n’aboie plus), ou qu’il soit qualifié (par exemple dans [le chien noir]), quantifié (dans [deux chiens]), ou qu’il soit montré (dans [ce chien]), ou, enfin, qu’il soit localisé (dans [le chien du voisin]). La localisation est spatiale (avec chien du voisin) ou temporelle (avec chien de l’an dernier).

L’unité spécialisée dans la représentation de l’espace et le temps est l’adverbe (ici, maintenant). Mais un être, concret (arbre par ex.) ou abstrait (jour par ex.), peut servir de repère spatial ou temporel. Donc, quand DT n’est pas un adverbe, il est un être et, dans ce cas, il est un nom (ou son substitut pronominal).

En tant que DT d’un syntagme DT-DE, le nom peut être générique ou spécifique. Quand il est spécifique il s’adjoint une postposition, -tɛɛɁ. Soit nyɔɔzɩ ‘cheveux’ le terme DE d’un syntagme de localisation dont le DT est tantôt générique avec ʋrʋ ‘personne humaine’ tantôt spécifique avec samataɁ ‘nom propre féminin’. Avec le DT générique on aura <ʋrʋ nyɔɔzɩ> ‘cheveux d’humain’ alors qu’avec le DT spécifique on aura <samata-tɛɛ nyɔɔzɩ> ‘les cheveux de Samata’. La postposition -tɛɛɁ est, comme toutes les postpositions locatives de la langue, un radical amputé de son suffixe. Il est extrait de du nom à structure saturée tɛɛdɩ (/tɛɛ-t/) ‘lieu d’habitation, de résidence, village’.

En réalité -tɛɛɁ est, comme toutes les postpositions locatives de la langue, un DE enclitique. Il peut servir de DE à la place d’un nom saturé. Ainsi avec samataɁ comme DT on aura <samata-tɛɛɁ> ‘chez Samata’ ; avec ʋrʋ, on aura <ʋrʋ-n-tɛɛɁ> ‘chez une personne’. Le syntagme <samata-tɛɛ nyɔɔzɩ> est un syntagme dont DT est lui-même un syntagme locatif.

Le besoin d’un nom spécifique, déjà déterminé, de se doter de la postposition locative semble indiquer qu’un tel nom a besoin de renforcer sa capacité à servir de repère. Autrement dit moins un nom est déterminé plus il est en mesure de favoriser la construction d’un syntagme de localisation. Le nom composé à caractère locatif semble être l’aboutissement extrême de cette indétermination de DT puisque le DT du nom composé, en se réduisant au radical renvoie l’indétermination à son extrême sommet.

2. La pronominalisation du syntagme et de ses termes

En discours, un nom (par ex. Président) énoncé une fois (dans par ex. dans [le Président a prononcé un long discours]) peut être repris une ou plusieurs fois. Lors de la première reprise le nom est remplacé par un substitut. Celui-ci peut être un nom ou un qualificatif reprenant une des propriétés attachées au référent (par ex. le Chef de l’Etat dans, par ex. [dans ce discours, le chef de l’Etat a rappelé les doléances des populations]) ; il peut être un pronom, donc il dans par ex. [dans ce discours, il a rappelé les doléances des populations]). Le pronom est une forme spécifique de substitut qui incarne à la fois le genre, la fonction syntaxique et le nombre du nom auquel il se substitue. La forme qu’il prendra pour exprimer ces trois valeurs permet de mieux mettre au jour les propriétés du nom substitué. C’est en cela que l’opération de pronominalisation est une bonne source d’information.

Nous savons déjà que le pronom tem prend la forme de l’affixe de genre ou du pluriel du nom auquel il se substitue. Cette forme est clitique, elle s’associe au radical auquel elle est associée. Mais pour certaines fonctions syntaxiques qui demandent que le pronom soit autonome, la forme de base prend un pseudo-suffixe. Celui-ci diffère selon que le pronom est en fonction objet ou en situation d’emphase (topicalisé ou focalisé). Le syntagme de localisation est un tout pouvant assumer n’importe quelle fonction syntaxique propre au nom. Comment va-t-il être pronominalisé ? Ses termes sont-ils pronominalisables chacun ? Si oui, avec quelle forme ?

2.1. La pronominalisation du syntagme

Quand on voit arriver un aveugle guidé par un enfant, on dit « l’aveugle arrive », bien que ce soit deux personnes qui avancent ; celui qui a besoin de se déplacer ce n’est pas l’enfant, mais le non-voyant ; l’enfant n’est là que pour faciliter son mouvement. Il en est de même du syntagme de localisation : pour être identifié, le nom localisé a besoin du nom repère. Mais seul le repéré retient l’attention aussi bien de l’énonciateur que de l’interlocuteur. Quand on jette un œil sur l’ensemble du syntagme, à l’instar du couple aveugle-enfant, on ne voit que sa tête, le terme localisé. Aussi la pronominalisation du syntagme DT-DE dans sa totalité ne prend-elle en compte que le DE. Autrement dit, le pronom qui vaut pour le <DT DE> est celui du DE. Dans l’énoncé suivant : faaɖe fuduu, baa ya kɩɁ ‘l’igname de la boutique, on l’a vendue’, le pronom objet kɩɁ reprend le syntagme faaɖe fuduu, mais avec la forme propre au genre neutre (G4) de fuduu :

DTDEPrO
faaɖefuduubaayakɩɁ
boutiqueignameon avendrela
G4G4G4

Dans l’exemple ci-dessus, il se trouve que faaɖeɁ est un emprunt logé dans le genre neutre. Pour vérifier que c’est bien le pronom du DE fuduu qui est pris en compte, remplaçons le DT faaɖeɁ par un DT de genre différent, par exemple fɔɔ ‘champ’ (G3) ; avec l’énoncé qui en résulte fɔɔ fuduu, baa ya kɩɁ ‘l’igname du champ, on l’a vendue’, on a toujours un pronom de genre neutre, le genre du DE fuduu :

DTDEPrO
fɔɔfuduubaayakɩɁ
champignameon avendrela
G3G4G4

Si à la place du DE fuduu on avait son pluriel fudini ‘ignames’, on aurait faaɖe fudini, baa ya tɩɁ ou fɔɔ fudini, baa ya tɩɁ, avec un pronom objet pluriel du genre neutre, le genre du DE fudini :

DTDEPrO
fɔɔfudinibaayatɩɁ
champignameson avendreles
G3PlG4PlG4

Jusqu’ici, le syntagme <faaɖe fuduu> a été repris avec la fonction objet. Qu’en est-il avec la fonction sujet ? Soit l’énoncé faaɖe fuduu ta ya ; kɩɩzɩ ‘l’igname de la boutique ne s’est pas vendue ; elle est pourrie’. La séquence kɩɩzɩ s’articule ainsi : représente le radical du verbe (V) sɩm ‘mourir’ ; ɩ qui précède est le marqueur de l’accompli (Acc) ; et est le pronom sujet ; comme on le voit, il est du même G4 que fuduu.

DTDEAcc NégVPrDT-DEAccV
faaɖefuduutayaɩ
G4G4 G4

Pour confirmer que le syntagme doit son pronom à son élément de tête DE, changeons de genre de celui-ci avec -tʋʋ ‘propriétaire de’ de genre humain (G1). Bien qu’il fasse corps avec faaɖeɁ (G4) dans l’énoncé faaɖedʋʋ fɛyɩɁ, weegbe ‘le boutiquier est absent, il est rentré’, c’est toujours le DE qui offre son pronom à l’ensemble DT-DE. Dans la séquence weegbe, gbe représente le verbe kpem ‘renter chez soi’, il est précédé de e qui représente l’accompli ɩ ; quant à we, il est la réalisation de ʋ, pronom de G1, devant une voyelle.

DTDEVPrDT-DEAccV
faaɖe-tʋʋfɛyɩɁʋɩkpe
G4G1G1

La possibilité de pronominaliser le syntagme de localisation confirme son caractère d’entité unitaire : ses termes se comportent comme des éléments d’un corps unitaire, l’un comme une tête qui commande et l’autre comme une queue qui obéit. Est-il alors envisageable que la tête et la queue puissent être individualisées par une pronominalisation ?

2.2. La pronominalisation de DE

En discours, c’est lors de sa reprise que le nom peut être pronominalisé. Il en est ainsi parce qu’à cette instance le nom est en situation de déterminé. Il faut donc qu’un nom soit en situation de déterminé pour être pronominalisable. Dans le syntagme <DT DE>, DE est en situation de déterminé, il peut donc être pronominalisé.

On sait que le pronom se présente sous deux formes, une forme de base copiée sur celle du suffixe du nom pour la fonction sujet et deux formes suffixées l’une pour la fonction objet, l’autre en situation d’emphase. Quelle forme le substitut pronominal de DE qui n’est ni sujet, ni objet, ni topicalisé va-t-il prendre ?

Assumer une fonction dans le discours est le propre du syntagme DT-DE. Le terme DE n’assume aucune fonction syntaxique à titre individuel. La forme du pronom qui se substitue à lui n’a donc pas à être indexée sur une fonction syntaxique quelconque. En tant que forme syntaxiquement neutre, elle est une forme de base identique à celle du suffixe nominal.

Cette forme de base est, on le sait, incapable d’être autonome. Le pronom de DE (PrDE) est donc forcément directement lié au radical le plus proche, en l’occurrence celui du DT. Ce lien direct n’est pas sans problème. Pour que le syntagme DT-DE continue de demeurer une structure à termes discrets, et pour que le pronom de DE, représentant de l’élément tête du syntagme, continue d’assumer son rôle de tête, il faut qu’un champ phonologique lui soit reconnu et sauvegardé. Que faire ?

Quand il s’est agi de résoudre le même problème avec les DE enclitiques -bu et -tʋʋ, il a fallu recourir à un séparateur de champs, en l’occurrence n. Ici, on va recourir au même séparateur mais en le renforçant par un accent ; au lieu de n, il sera . Pourquoi un séparateur plus ferme ? Parce qu’à droite le champ phonologique à sauvegarder est réservé non pas à une structure à radical, mais à un morphème.

Mais avant toute chose, la pronominalisation de DE n’est possible que si le caractère localisateur de DT est évident. C’est pourquoi la préférence dans le choix du DT pour un pronom de DE va aux noms de lieu et de temps.

Soit fuduu ‘igname’ un DE précédé soit de calʋʋɁ ‘village de Tchalo’, un DT de lieu soit de atɛnɛɛɁ ‘lundi’, un DT de temps. Les syntagmes <calʋʋɁ fuduu> ‘l’igname de Tchalo’ et <atɛnɛɛɁ fuduu> ‘l’igname de lundi’ sont l’idéal pour une pronominalisation de fuduu (). En effet, du premier on aura <calʋʋɁ ń kɩ> ‘celle de Tchalo’ et du second on aura <atɛnɛɛɁ ń kɩ> ‘celle de lundi’ :

DT DE DT Sép PrDE
calʋʋɁ fuduu calʋʋɁ calʋʋńgɩ celle de Tchalo
atɛnɛɛɁ fuduu atɛnɛɛɁ atɛnɛɛńgɩ celle de lundi

Quand le DT est un nom ni de lieu ni de temps et qu’il est, de surcroît, déterminé à l’extrême (cas des noms propres) il est obligé de s’adjuger la postposition (Postp) -tɛɛ dans le but de créer une sphère temporelle ou locative autour de son référent. Si, par exemple, samataɁ ‘Samata’, un nom propre féminin’ est DT de fuduu il doit se suffixer -tɛɛɁ : <samataɁ -tɛɛɁ fuduu> ‘l’igname de Samata’ ; *<samataɁ fuduu> est rarement attesté. La pronominalisation de DE du schème autorisé donne <samataɁ -tɛɛɁ ń kɩ> ‘celle de Samata’.

DTDEDT-PostpDE DT-Postp SépPrDE
samataɁ fuduu samata-tɛɛɁ fuduu samata-tɛɛɁ

Quand le DT est un nom commun qui n’est ni de lieu ni de temps, la postposition -tɛɛɁ semble facultative. Avec faɖaa ‘cultivateurs’ comme DT on peut avoir <faɖaa fuduu> ou <faɖaa-n-tɛɛɁ fuduu> pour ‘l’igname des cultivateurs’.

Bien entendu, l’insertion du séparateur introduit quelques changements au niveau de la réalisation de surface. Soit le tableau suivant où des syntagmes <DT DE> voient leurs DE respectifs pronominalisés (pronom ) :

DTDEDTSépPrDE
1yomkʋjʋʋyom
esclavetête
2yómniveewuyóm
jus de viandemarmite
3kpeewukʋjʋʋkpeewu
greniertête
4fuduuɖɔkʋfuduu
ignamepanier
5kigbeemuukʋjʋʋkigbeemuu
bourdontête

Observons la réalisation des syntagmes à DE pronominalisés

1yom yomńgɩ
2yóm yómńgɩ
3kpeewu kpeewúṹgɩ
4fuduu fudú(u)ṹgɩ
5kigbeemuu kigbeemu(ú)ṹgɩ

La règle à la base de ces réalisations est la suivante : investit une copie de la voyelle finale (ou assimilé, cas de m nasale syllabique) en la nasalisant et en lui imposant son accent. Si cette réalisation entraîne la naissance d’une séquence de trois noyaux de syllabe successifs, le noyau médian (ici la voyelle mise entre parenthèses) ne se réalise pas ; toutefois si elle est inaccentuée la courbe mélodique de l’ensemble de la structure en tient compte. Ainsi la réalisation fudú(u)ṹgɩ par exemple a pour courbe mélodique [fudúũgɩ] en accord avec la règle qui veut qu’un schème mélodique de base BHBHB devienne BHBB (H = présence d’accent, pour mélodie haute et B=absence d’accent, pour mélodie basse).

On se rappelle que le séparateur n (sans accent) qui préserve le champ phonologique de DT analysable se contentait d’investir la dernière voyelle de celui-ci. Le séparateur , lui, tient à se constituer en syllabe autonome.

Les perturbations phonétiques envisagées jusqu’ici concernent le PrDE quand il est de schème CV. Qu’en est-il avec PrDE de schème V ?

Soit un syntagme dont le DE est yala ‘œufs’ dont le pronom est a. Soit aguluɁ ‘Agoulou, nom de village’ et uyoluu ‘chaleur’ deux DT possibles pour le pronom DE de yala. Observons les réalisations des syntagmes <agulu ń a> ‘ceux de Agoulou’ et <uyoluu ń a> ‘ceux de la chaleur’.

aguluɁa aguluṹná
uyoluua uyolu(u)ṹná

L’autre PrDE de schème V est ʋ/ɩ du genre humain. Pour le substituer au PrDE a, remplaçons yala par ʋrʋ ‘personne’, ce qui donnera les syntagmes <agulu ń ɩ> ‘celui de Agoulou’ et <uyoluu ń ɩ> ‘celui de la chaleur’, dont voici les réalisations de surface (l’accent aigu du ɩ final n’est pas marqué faute de caractère spécial pour) :

aguluɁɩ aguluṹnɩ
uyoluuɩuyolu(u)ṹnɩ

On note 1) que les champs phonologiques des PrDE a et ɩ sont sauvegardés. Ils échappent à la propriété +ATR de la voyelle u des DT ; 2) que le séparateur se crée une syllabe autonome ; 3) qu’il investit la syllabe V du suffixe en lui affectant une copie de lui comme élément périphérique d’une nouvelle syllabe pronominale de type CV ; 4) qu’il propage son accent sur la nouvelle syllabe CV.

Remarque avec les adverbes comme DT

Le nom commun en DT peut être monosyllabique. Quand c’est le cas, le monosyllabe est affecté d’un accent : (Pl. de téére ‘phacochère’), bú ‘enfant’, tó (Pl. de tóóre ‘bouton de peau’), etc. Lorsque, face à un DT monosyllabique le PrDE est V, la réalisation du syntagme donne une courbe mélodique haute et plate : ex. ‘ceux de boutons’ se réalise tóńná (HHH).

L’adverbe de temps ou de lieu peut assumer la fonction DT. Il peut être de schème monosyllabique et le monosyllabe peut être accentué. Quand on est en présence d’un adverbe monosyllabique accentué (situation du nom monosyllabique) et que le PrDE est V, la réalisation du syntagme donne une courbe mélodique haute et plate : ‘ceux de là-bas (ceux-là)’ se réalise lííná ; ‘ceux d’ici’ se réalise cééná. On constate que contrairement au syntagme dont le DT est un nom, ne nasalise plus la copie vocalique qu’il a pourtant générée. Pourtant, quand le PrDE est un CV, nasalise cette copie : ’celui de là-bas’ se réalise líínga (lire -in- comme un i nasalisé).

A la différence du nom, l’adverbe monosyllabique peut être non-accentué. D’ailleurs, un adverbe comme ce ‘ici’ se présente tantôt cé tantôt ce. Quand il est ce (sans accent), en présence d’un PrDE CV, aucun changement par rapport à (avec accent) : ‘celui d’ici’ se réalise ceénga (lire -en- comme un e nasalisé). Mais si PrDE est V, alors ‘ceux d’ici’ se réalise ceená : ni nasalisation, ni accentuation de la voyelle copiée pour . Tout porte à croire que a été affaibli par un déplacement de son accent. L’accent n’est plus porté par n ; il flotte à sa droite : est transformé en n H (H représente l’accent flottant à droite) ; donc est, en réalité, . Délesté de son accent, n n’a plus le pouvoir de nasaliser la copie vocalique qui continue d’être générée. Mais la transformation de en n H se limite au seul cas où ce (sans accent) se trouve en présence d’un PrDE V.

L’adverbe ‘quoi ?’, quant à lui, perd systématique son accent dès qu’il est question de servir de DT à un PrDE. En présence d’un PrDE V, il se comporte comme l’adverbe ce : ‘ceux de quoi ?’ devient et se réalise weená. Mais, à la différence de ce, we maintient son n H en présence d’un PrDE CV. Dans ce cas, le séparateur ne génère plus de copie vocalique, il nasalise l’unique voyelle de we et la consonne du PrDE CV se réalise forte du fait de l’accent dont bénéficie sa syllabe : ‘celui de quoi ?’ se réalise wẽká.

L’affaiblissement du séparateur à la suite de sa transformation en n H le rend incapable de protéger l’autonomie phonologique de PrDE. Celui-ci n’est donc plus à l’abri de la propriété ATR de l’adverbe : ‘celui-ci’ se réalise ceení ; ‘lequel ?’ se réalise weení ; ‘lequel’ se réalise wẽkí : partout le ɩ -ATR du PrDE devient i (+ATR) sous l’effet de la propriété +ATR de e de ce et we.

2.3. La pronominalisation de DT

Dans un syntagme <DT DE> la pronominalisation de DT n’est pas automatique. Il y a des DT qui sont si indéterminés qu’ils prennent une valeur plus qualitative que locative. Le mot arbre dans feuille d’arbre (précision utile pour la distinguer de la feuille de papier) n’a pas la même valeur que arbre dans feuille d’un arbre. Dans le premier syntagme arbre est hyper indéterminé et a presque la même valeur qu’un qualifiant ; dans le second arbre représente un référent susceptible de servir de repère à feuille. Dans feuille d’arbre, le termearbre ne peut être repris et, encore moins, pronominalisé.

Soit l’exemple du nom lakʋtaɁ (un emprunt à l’angl. doctor). Il désigne aussi bien un agent médical (médecin, infirmier, sage-femme) qu’un lieu de soins hospitaliers (infirmerie, hôpital). Dans un syntagme DT-DE, il peut servir de DT à un DE ayant un rapport avec la pratique de la médecine moderne (blouse, stéthoscope, médicament). Mais un syntagme tel que <lakʋtaɁ faadɩnɩ> peut signifier ‘médicament pharmaceutique’ (en opposition à <tem faadɩnɩ> ‘médicament traditionnel’) ou ‘médicament pour soigner le médecin’ (en opposition à, par ex., <wuro faadɩnɩ> ‘médicament pour soigner le roi’). Avec le premier sens (médicament pharmaceutique) lakʋtaɁ est si peu déterminé qu’il ne peut être pronominalisé. Avec le second sens (médicament pour le médecin) lakʋtaɁ est assez déterminé pour être pronominalisé.

Quelle forme le pronom du DT (PrDT) prend-il ? Le PrDT n’est ni en fonction objet ni en position de topicalisé ; il ne peut donc pas prendre la forme d’un pronom autonome. Il ne lui reste que la forme de base, à l’instar de celle du PrDE. Cette forme fait du PrDT un clitique, destiné à prendre appui sur un radical, celui du nom DE forcément. Dans une situation similaire le PrDE, lui, a tenu à préserver son autonomie en recourant à un séparateur. Le PrDT va-t-il chercher, lui aussi, à protéger son champ phonologique ? On se rappelle que quand le champ phonologique du nom DT était menacé par un DE clitique (-bu et -tʋʋ) il a fallu recourir à un séparateur de champs, n (sans accent).

On sait que dans le syntagme DT-DE, DT est le terme gouverné, donc faible. Si sa pronominalisation produit une forme clitique, celle-ci verrait sa faiblesse multipliée par deux. Il est donc faible à tel point qu’un séparateur n’est d’aucun secours. Dès lors, le PrDT renonce à l’autonomie de son champ phonologique. Il intègre le champ du nom DE.

Soit le pronom ka, substitut du nom fɔɔ ‘chien’. La variation du timbre de ce pronom dans les syntagmes ci-après ainsi que le voisement de la consonne initiale du nom DE montrent qu’il est dans le champ du nom DE.

PrDTDE
kakʋjʋʋkagʋjʋʋ
têtesa tête
kakelekegele
dentsa dent
kasuukozuu
queuesa queue

Avec un DT faazɩ ‘chiens’, le pronom est . Avec le pronom on aurait :

PrDTDE
kʋjʋʋsʋgʋjʋʋ
têteleur tête
kelesigele
dentleur dent
suusuzuu
queueleur queue

Comme on le voit, le PrDT tem tient sa forme du genre et du nombre du nom DT auquel il se substitue. C’est sa situation de terme dominé qui lui impose une propriété du DE.

2.4. La pronominalisation concomitante de DT et DE

La condition pour qu’un terme du syntagme <DT DE> puisse être pronominalisé est son degré de détermination. Tour à tour le DE et le DT se sont laissés pronominaliser sur la base de cette seule condition. Donc, théoriquement, rien n’empêche l’un de se pronominaliser en même temps que l’autre. Dans les faits, la pronominalisation concomitante existe. Toutefois, il convient d’avoir en mémoire que le pronom est, par définition, hyper-déterminé. On se rappelle que quand un nom est hyper-déterminé (cas du nom propre), il doit s’adjuger la postposition -tɛɛɁ en position de DT. Le pronom est lui aussi hyper-déterminé ; il doit, lui aussi, s’adjoindre la même postposition quand il est un DT en présence de PrDE.

Soit un PrDE représentant un nom de genre 4 comme kʋjʋʋ ‘tête’, ba un PrDT représentant le pluriel d’un nom de genre 1 comme ɩraa ‘personnes’ et un PrDT représentant le pluriel d’un nom de genre 3 comme faazɩ ‘chiens’. A l’aide de ces données, les syntagmes suivants sont possibles :

PrDT-tɛɛɁSépPrDE
ba-tɛɛɁbɛdɛɛńgɩla leur
sɩ-tɛɛɁsɩdɛɛńgɩla leur

Exceptionnellement le pronom DT du genre 1, ʋ, et sa forme de pluriel, ba, peuvent se passer de la postposition. Soit le PrDE de tɔm ‘affaires, palabres, défauts’. Avec le PrDT ʋ de ʋrʋ ‘personne’ on peut avoir <ʋ ń tɩ> ‘les siennes’ réalisé waańdɩ (lire -ań- comme un a nasalisé et accentué) à côté de la formule la plus fréquente <ʋ-tɛɛɁ ń tɩ> réalisé ɩdɛɛńdɩ (lire -ɛń- comme un ɛ nasalisé et accentué). Avec le PrDT ba de ɩraa ‘personnes’, on peut avoir <ba ń tɩ> ‘les leurs’ réalisée baańdɩ à côté de la formule la plus fréquente <ba-tɛɛɁ ń tɩ> réalisée bɛdɛɛńdɩ. La forme sans postposition est archaïque ; on la trouve dans le parler Bʋʋ et dans les textes littéraires (chansons, proverbes, maximes, contes, etc.).

Conclusion

Ainsi prend fin l’histoire du complexe de noms dont l’un est ce que la grammaire traditionnelle appelle « complément de nom » et que la linguistique moderne appelle syntagme de détermination sans autre précision.

La grammaire traditionnelle, en qualifiant le DT de « complément » reconnaît la hiérarchie qui existe entre le DT et le DE. Mais que veut dire « compléter » quand, en réalité, il s’agit de localisation ? Le syntagme <DT DE> est bien un syntagme de détermination mais la détermination s’exprime par différents procédés : <l’homme de l’oiseau> est un syntagme de détermination, <l’homme oiseau> aussi. Mais il y en a un qui détermine par localisation et l’autre par qualification.

L’aspect localisation de <DT DE> n’est pas exprimée par la seule position des termes l’un par rapport à l’autre, mais par la possibilité (ou l’obligation dans certains cas) d’adjoidre au DT de la postposition locative tɛɛɁ.

La pronominalisation des termes du syntagme <DT DE> révèle l’origine des structures françaises que la grammaire traditionnelle traite de pronoms à savoir le démonstratif (celui-ci), le possessif (le sien), le relatif (qui) et l’interrogatif (qui ? ). En tem, ces structures sont clairement des syntagmes de pronoms : <PrDT PrDE>.