samedi 30 juin 2012

Initiation à la grammaire tem Chapitre 3 : le nom Leçon 4 : Le pluriel des noms




Un être discret, rappelons-le, est un être constitué d’unités détachables, donc comptables. Le vent, l’air, l’eau, ne sont pas des êtres discrets. Par contre, l’homme, le caillou, l’arbre, sont des êtres discrets.

Quand un être est discret, le nom commun qui le désigne, représente en fait la classe des unités dont il est constitué. Le nom commun arbre désigne non pas un arbre particulier mais la classe de tous ce qui se reconnaître dans les propriétés renfermées dans ce nom. Mais on peut avoir besoin de désigner soit tous les arbres pris individuellement, c’est-à-dire comme si on les avait comptés tous l’un après l’autres, soit une portion d’arbres dont le nombre est égal ou supérieur à deux unités. Pour le faire on dérive le nom qui désigne un certain nombre d’unités du nom qui désigne la classe d’unités. En français, une telle dérivation va transformer arbre en arbres, cheval en chevaux. L’élément qui a servi à faire la dérivation est connu sous le nom de marqueur de pluriel.

Quand une langue est sans genres, le marqueur de pluriel est le même pour tous les noms des êtres discrets. Quand la langue est à genres, deux possibilités s’offrent à elle : ou bien elle se donne marqueur de pluriel invariable, quel que soit le genre, ou bien elle offre un marqueur spécifique à chaque genre. L’espagnol est une langue à deux genres : le masculin et le féminin. Au genre masculin l’adjectif buen- ‘bon’ de cette langue a pour marqueur de genre, « o » : bueno ‘bon’. Au genre féminin il a pour marqueur de genre « a » : buena ‘bonne’. L’espagnol se donne un marqueur de pluriel invariable, le même pour chacun des deux genres : « s ». Au pluriel, bueno devient buenos et buena devient buenas. Le latin est aussi une langue à genres ; trois genres : le masculin, le féminin et le neutre. A la différence de l’espagnol, le latin a choisi d’attribuer un marqueur de pluriel variable : une forme spécifique à chaque genre. Quand il participe à un complexe nominal en fonction sujet,  l’adjectif bon- ‘bon’ reçoit « us » comme marqueur de masculin, et « a » comme marqueur de féminin. Au pluriel, « us » est remplacé par « i » ; tandis que « a » par « æ ». On a ainsi bonus qui devient boni ‘bons’ et bona qui devient bonæ ‘bonnes’.

Le tem procède de la même façon que le latin. Chacun de ses quatre premiers genres (humain, dérivé, menu, neutre), en tant que genre de noms comptables, reçoit un marqueur de pluriel de forme spécifique.

Le genre humain a pour marqueur de genre « ʋ ». Le marqueur de pluriel qui vient le remplacer quand le nom se met au pluriel a pour forme « ba ». Ainsi les noms alʋ (al-ʋ) ‘femme’, ʋrʋ (ʋr-ʋ) ‘personne’, faɖʋ (faɖ-ʋ) ‘cultivateur’, bu (bi-ʋ) ‘enfant’ et ɖom (ɖom-ʋ) ‘serpent’ deviennent au pluriel, respectivement alaa (al-ba) ‘femmes’, faɖaa (faɖ-ba) ‘cultivateurs’, biya (bi-ba) ‘enfants’ et ɖomaa (ɖom-ba) ‘serpents’.

Le genre dérivé a pour marqueur de genre « ɖ ». Le marqueur de pluriel qui lui revient a pour forme « a ». Les noms du genre dérivé tels que kpɩzɩɖɛ (kpɩz-ɖɛ) ‘noix de cajou, sp.’, tɛɖɛ (tar-ɖɛ) ‘palme de raphia’, tɔnɖɛ (tɔn-ɖɛ) ‘peau’ et yɩɖɛ (yɩr-ɖɛ) ‘nom’ deviennent au pluriel, respectivement kpɩza (kpɩz-a), tara (tar-a), tɔna (tɔn-a) et yɩra (yɩr-a).

Le genre menu a pour marqueur de genre « ka ». Le marqueur de pluriel qui lui revient a pour forme « s ». Les noms du genre menu tels que yika (yi-ka) ‘calebasse’, liiya (li-ka) ‘francolin’, fɔɔ (fa-ka) ‘chien’ et baŋa (ban-ka) ‘cou’ deviennent au pluriel respectivement yisi (yi-s), liizi (li-s), faazɩ (fa-s) et baazɩ (ban-s).

Le genre neutre a pour marqueur de genre « k ». Le marqueur de pluriel qui lui destiné a pour forme « t ». Les noms du genre menu tels que faawʋ (fa-k) ‘feuille’, komuu (kom-k) ‘fromager’, tɩɩwʋ (tɩ-k) ‘arbre’ et ɖaŋ (ɖam-k) ‘case’ deviennent au pluriel, respectivement faadɩ (fa-t), komini (kom-t), tɩɩnɩ (tɩ-t) et ɖamɩnɩ (ɖam-t).


Remarque
A la différence des marqueurs de genre « ʋ », « ɖ », « ka » et « k » qui sont distincts, autonomes, le marqueur de pluriel, lui, est unique. C’est la robe qu’il porte face à un genre donné qui lui donne des apparences différentes à savoir « ba » pour le genre humain, « a » pour le genre dérivé, « s » pour le genre menu et « t » pour le genre neutre.


PS : La transformation des formes de base entre parenthèses en formes réalisées en italiques a été partiellement expliquée dans la leçon 3 du chapitre 2. L’explication sera reprise avec plus de détails dans une prochaine leçon du présent chapitre.

mercredi 27 juin 2012

Initiation à la grammaire tem Chapitre 3 : le nom Leçon 3 : Les genres et la répartition des noms

Le genre est un ensemble de noms réunis autour d’une propriété commune. Celle-ci est représentée par un affixe, mais il n’est pas indispensable qu’un nom affiche cet affixe. L’évolution de la langue peut amener un nom à figurer dans un genre dont il ne possède pas la propriété.

Le tem a cinq genres : quatre genres fondés sur des propriétés à caractère qualitatif (le genre humain, le genre dérivé, le genre menu, le genre neutre) et un genre fondé sur une propriété à caractère quantitatif (le genre dense).
1. Le genre humain

Le genre humain regroupe plusieurs catégories de noms d’humains.

Catégorie biologique :
ʋrʋ ‘personne’, alʋ ‘femme, femelle’, abaalʋ ‘homme, mâle’, bu ‘enfant’.

Catégorie sociale :
faɖʋ ‘cultivateur’, lʋʋrʋ ‘tisserand’, wuroɁ ‘roi’, njɛm ‘aveugle’, ʋgɔm ‘étranger’.

Catégorie de la parenté :
caaa ‘père’, kɔɔɔ ‘mère’, kaaa ‘sœur aînée’, newuu ‘cadet(te)’, ɖaalʋʋ ‘frère aîné’, biyaalʋʋ ‘fils’, wɛɛlʋʋ ‘fille’.

Catégorie des patronymes :
AbuɁ, ‘Abou, nom masculin’, SalaamaɁ ‘Salama, nom féminin’, Wuro KʋraɁ ‘Ouro-Koura ‘nom d’adulte masculin’.

Le   genre humain renferme beaucoup de noms d’animaux.

Reptiles :
taalʋ ‘ver de terre’, ɖom ‘serpent’, ɖʋʋ ‘python’, ɖaalʋ ‘serpent, espèce de, désormais sp.’, ɩyɩwʋ ‘crocodile, sp.’

Mammifères :
yuu ‘rat’, sɔɔ ‘chacal’, kpawʋ ‘antilope, sp.’, nyawʋ ‘guib harnaché’, tuu ‘éléphant’, fee ‘ovin’, nam ‘caprin’.

Volatiles :
suu ‘pintade’, ilim ‘faucon’.

Insectes :
tʋʋ ‘abeille’, izim ‘criquet pèlerin’, adɩrɩngbowu ‘guêpe’, agbokpowu ‘hanneton, sp.’, tiiwu ‘fourmi noire’.

Le   genre humain renferme même des êtres inanimés :
tem ‘arbre iroko’, urooduu ‘mois lunaire’, ʋjɔɔ ‘aiguille à coudre’.
2. Le genre dérivé

La langue tem distingue les êtres dont l’existence dépend de celle d’autres êtres et les érige en genre. La dérivation sémantique s’accompagne souvent de la dérivation morphologique ; aussi le nom de l’être dérivé dérive-t-il souvent de celui de l’être originel.

Dérivé à partir d’un être physique :
kpɩzɩɖɛ ‘fruit de kpɩzʋʋ (acajoutier, sp.)’, loore ‘fruit de loowu (liane fruitière, sp.)’, tɛɖɛ ‘palme de tarʋʋ (palmier raphia)’, wele ‘fruit de weluu (arbre, sp.)’, bʋʋrɛ ‘caillou, morceau de bʋʋ (montagne)’, tɔnɖɛ ‘peau, issue de tɔnʋʋ (corps)’.

Dérivé à partir d’une action :
mʋɖɛ ‘abcès’ dérivé de mʋrʋʋ ‘enfler’ ; fɛɖɛ ‘daba’ dérivé de farɩɩ ‘cultiver’ ; baarɛ ‘danse’ dérivé de baa ‘danser’ ; yɛlɛ ‘œuf’ dérivé de yaa ‘éclater’ ; yɩɖɛ ‘nom’ dérivé de yaa ‘appeler’.

Dérivé sans origine sémantique connue :
sele ‘masse métallique du forgeron’, ɖʋnɖɛ ‘genou’, kpɩnɖɛ ‘objet’, tiire ‘termite’, luure ‘lit en terre’.
3. Le genre menu

Etre menu ici, c’est être plus petit que la norme. Pourtant les noms ordinaires présents dans le genre menu désignent des êtres qui n’ont rien de spécialement menu :
yika ‘calebasse’, yɩka ‘corne’, liiya ‘francolin (perdrix)’, fɔɔ ‘chien’, fɔɔ ‘champ’, baŋa ‘cou’, loŋa ‘tambour d’aisselle’.

La propriété « menu » du genre n’apparaît que dans deux procédés : un procédé de dérivation et un procédé de qualification.

Le procédé de dérivation substitue à l’affixe ordinaire du nom celui du genre menu pour obtenir un nom désignant le même objet mais menu :
kpelɔɔ ‘petit tabouret’, dérivé de kpele ‘tabouret’ ; fɔɖɔɔ ‘petite plante rampante’ dérivé de fɔɖʋʋ ‘plante rampante’.

Le procédé de qualification utilise le radical qualifiant i qui exprime l’extrême petitesse. En tant que qualifiant le radical i peut s’associer directement au radical du nom qualifié (Rad-i-Affixe) soit se présenter autonome (Rad-Affixe # i-Affixe). Dans les deux cas, comme c’est la règle en la matière, l’affixe qui suit i doit être celui du nom qualifié. Or, avec le qualifiant i, c’est l’affixe du genre menu (ka) qui s’impose. Soit le nom abaalʋ ‘homme, mâle’ dont le radical est abaal et l’affixe ʋ. Dans la formule compacte de qualification on a /abaal-i-ka/ qui se réalise abaaliya ‘petit brave homme’ (applicable à un général d’armée de petite taille, par exemple). Dans la formule autonome de qualification on a /abaalʋ i-ka/ réalisé abaalʋ yɔɔ ‘bout d’homme’.
4. Le genre neutre

Dans une langue à deux genres, il n’y qu’une des deux propriétés qui a fait l’objet de choix. La seconde propriété est une propriété par défaut, elle représente ce qui n’est pas la première. Quand la langue a plus de deux genres, il y en a un qui récolte les noms rejetés par les autres propriétés qui, elles, ont fait l’objet de choix. Il est le genre neutre.

En tem, les noms rejetés par trois propriétés de qualité tombent dans le panier du genre qui est ni-humain, ni-dérivé, ni-menu, c’est-à-dire neutre, du point de vue de la qualité. Ces noms représentent :

des êtres géants, naturellement :
bʋʋ ‘montagne’, taawʋ ‘grand arbre, sp.’, baawʋ ‘palmier à huile’, laawʋ ‘forêt’, teluu ‘baobab’, komuu ‘fromager’, tɩɩwʋ ‘arbre’.

des normaux :
bɔɔwʋ ‘trou’, ɖaŋ ‘case’, faawʋ ‘feuille’, foowu ‘nœud’, lowu ‘gorge’, kʋjʋʋ ‘tête’.

des ethnonymes :
TemɁ ‘Tem’, KotokolíɁ ‘Kotokoli’, KabʋrɛɁ ‘Kabiyè’, AŋʋnaɁ ‘Ewé, Mina’, CamanaaɁ ‘Tchamba’.

des toponymes :
NɔɔɁ ‘la rivière Na’, NyalaɁ ‘le fleuve Mono’, KɩgbaafʋlʋɁ ‘la ville de Bafilo’, KadambaraɁ ‘Katambara’.

Quand il le peut, le nom d’emprunt s’intègre à un genre dont la propriété a fait l’objet de choix. Cela peut être grâce à l’euphonie, c’est le cas de lɔɔrɛ intégré au genre dérivé emprunté à l’anglais lorry. Cela peut dépendre de la présence dans l’emprunt de l’une des propriétés choisie ; c’est le cas de tɩɩlaɁ ‘tailleur’ emprunté à l’anglais tailor intégré au genre humain, et de bien d’autres emprunts désignant des métiers. En l’absence de ces deux moyens d’intégration, l’emprunt est systématiquement renvoyé au genre neutre.

La propriété « menu » exclut les êtres normaux en taille, à plus forte raison les géants. L’accueil de tous les êtres géants donne l’impression que le gigantisme a fait l’objet de choix pour le présent genre. Du coup il existe une dérivation augmentative qui tend à le confirmer : de kpele ‘siège’ dérive kpeluu du présent genre pour traduire ‘un grand siège’, de wule ‘nombril’ dérive wuluu du présent genre pour nommer ‘un gros nombril’. Mais en réalité on a affaire à un genre neutre.
5. Le genre dense

Le dense est ce  qui est quantifiable mais non comptable. Le riz, le mil, en grains, sont des êtres quantifiables à l’aide des instruments de mesure parce qu’il est impossible de les compter individuellement. Le dense c’est, en quelque sorte, le pluriel exagéré, un sur-pluriel. C’est donc une propriété de quantité à ne pas placer sur le même plan que les propriétés de qualité. L’examen de ce genre sera donc fait dans l’étude de la pluralisation dans les genres à propriétés qualitatives.


jeudi 21 juin 2012

Initiation à la grammaire tem Chapitre 3 : le nom Leçon 2 : La propriété classificatoire



L’homme dispose de ses cinq sens pour appréhender les êtres de son environnement. Il les identifier à partir de leurs apparences. L’apparence fournit aux cinq sens humains une foule de propriétés telles qu’il est impossible de les prendre toutes en compte. Pour simplifier, l’homme résume l’apparence par un nom que l’être doit être seul à porter, le nom propre. Avec ce procédé d’identification les six baobabs de mon village devraient porter six noms différents, chacune des mouches qui viennent visiter mon plat devra avoir son nom propre. A ce rythme la mémoire serait pleine avant d’avoir enregistré le millionième des noms des êtres de mon environnement quotidien.

Pour éviter de trop bourrer la mémoire, on a inventé le procédé du nom commun. Ainsi les six arbres du village vont être identifiés à partir des propriétés qu’ils ont en commun : « avoir des racines en partie visibles en partie invisibles », « avoir un tronc massif et boutonneux », « avoir des branches », « avoir des feuilles rares ». A cet ensemble de propriétés qu’il sera attribué le nom baobab. Grâce à ce nom, dénominateur commun aux six arbres de mon village, je peux désigner n’importe quel autre arbre semblable dans le monde. 

Le nom commun regroupe les propriétés communes à un groupe d’êtres semblables. Ces propriétés sont donc forcément limitées. C’est cette limitation qui établit la différence entre le nom commun et le nom propre. La liste des propriétés du nom commun est limitée, mieux, fermée, tandis qu’elle est ouverte pour le nom propre.

Le nombre limité des propriétés du nom commun attire une plus grande attention sur elles et permet de détecter de nouvelles propriétés communes à plusieurs noms communs. Ainsi, on s’aperçoit que le baobab a des propriétés communes avec le fromager, le manguier et d’autres êtres du même type. Ces propriétés peuvent faire l’objet d’un nouveau nom, arbre. Le nom arbre, à son tour, peut avoir des propriétés communes avec un autre nom, herbe par exemple. Ces nouvelles propriétés seront à l’origine du nom plante. Ainsi de dénominateur commun en dénominateur commun plus petit, l’on crée des noms qui en englobent d’autres, en somme des noms qui servent de chapeaux à d’autres : arbre sert de chapeau à baobab, palmier, manguier et plante sert de chapeau à arbre, fougère et champignon :

arbre = baobab, palmier, manguier, etc.

plante = arbre, fougère, champignon, etc.

Ce type de classement par chapeautage exige du locuteur un exercice intellectuel basé sur la connaissance préalable des êtres mis sous chapeau. Pour éviter un tel investissement intellectuel à l’auditeur, certaines langues font figurer dans le nom de l’être chapeauté le renseignement sur la nature de son chapeau. De sorte que rien qu’à entendre le nom, on sait la classe à laquelle appartient l’être nommé. Comment s’y prennent-elles ?

Le locataire dont le domicile est protégé par un chien de garde prend soin d’avertir le visiteur de la présence d’un chien en faisant figurer à l’entrée de la maison l’inscription ‘chien méchant’. C’est à peu près de cette façon que l’on procède pour signaler la présence, dans un nom d’une propriété partagée.

Soit N1, N2 et N3 des noms communs d’origine (NCO). Soit « a », « b » et « c » les propriétés de N1, « a », « d » et « e » les propriétés de N2, « a », « f » et « g » les propriétés de N3. On pourra écrire :

Formule 1 :

N1 = [a b c]
N2 = [a d e]
N3 = [a f g]

où [ ] délimite le champ des propriétés de chaque N.

La propriété commune « a » pourrait faire l’objet d’un nom-chapeau. Mais si la langue a choisi de montrer dans chaque N (N1, N2, N3) la présence de « a », elle va procéder de la façon suivante : 1) copie de la propriété « a » : on obtient « a » et sa copie « a’ » ; 2) placement de « a’ » hors du champ des propriétés de N : ainsi on passe de la formule 1 à la formule 2 suivante :


Formule 2 :

N1 = [[a b c][[a’]]
N2 = [[a d e][a’]]
N3 = [[a f g][a’]]

où l’on a, pour N1 par exemple, deux champs adjacents, [a b c] le champ des propriétés et [a’] le champ de la copie de la propriété commune, tous deux constitutifs du champ ([ ]) du nom N1.

Pour la verbalisation du nom, chacun des deux champs qui le constituent va se voir attribuer un schème phonique : au champ [a b c] qui représente le contenu sémantique de la racine on attribue le schème phonique de la racine et au champ « a’ » qui représente le guide des catégories on attribue le schème phonique de l’affixe :

Racine Affixe
|         |
N1 = [ [a b c] [a’] ]

Etant donné que la racine s’enrichit le plus souvent de propriétés ajoutées par un dérivatif, ce qui la transforme en radical, il est préférable de remplacer dans le schéma ci-dessus racine par radical (le radical pouvant se réduire à sa plus simple expression qu’est la racine). Ce qui donne :

Radical Affixe
|          |
N1 = [ [a b c] [a’] ]

Les langues qui, au lieu de faire de la propriété partagée un nom-chapeau, l’extériorisent en la faisant figurer dans le schème phonique du nom, sont appelées langues à genres nominaux et chaque propriété génératrice de genre est dite propriété classificatoire.

Initiation à la grammaire tem Chapitre 3 : le nom Leçon 1 : le schème de base des composants du nom



Sous l’étiquette de nom sont regroupés le nom propre et le nom commun. Le nom commun regroupe, à son tour, le nom d’emprunt et le nom d’origine. Le nom propre (désormais NP), le nom commun d’origine (désormais NCO) et le nom commun d’emprunt (désormais NCE) n’ont pas la même structure. NP et NCE ont un corps figé, non-analysable tandis que NCO est, quant à lui, analysable en unités plus petites. C’est de NCO qu’il est question ici.


1. La terminologie

Quand un NCO est analysé, il révèle son contenu. Les unités qui s’en dégagent doivent être identifiées par des termes appropriés. La grammaire traditionnelle offre une terminologie qui est souvent inappropriée pour une langue Niger-Congo parce qu’elle est fondée d’une part sur la philologie qui date du 3e s. avant notre ère et, d’autre part sur les langues indoeuropéennes. Les termes qui vont être adoptés pour le tem ont l’avantage d’être issus de la linguistique moderne, plus soucieuse d’universalité. L’analyse de NCO tem révèle nécessairement une racine et un affixe et, éventuellement, un dérivatif et un radical.


1.1. Qu’est-ce qu’une racine ?

Quand plusieurs NCO de même champ sémantique (de même famille) ont une partie phonique commune, cette partie représente leur racine. En français, les noms maison, maisonnée et maisonnette ont en commun la séquence phonique « maison ». Cette séquence est la racine des trois noms. Dans chacun des trois noms l’essentiel du sens repose sur elle, en l’occurrence ‘un lieu construit pour être habité’. La racine peut, à elle seule, constituer le nom, c’est le cas de maison.


1.2. Qu’est-ce qu’un dérivatif ?

Il existe des unités morphologiques qui portent du sens comme la racine mais qui n’ont pas une existence autonome. Leur fonction est de s’associer à une racine pour dériver le sens de celle-ci, pour l’amener à avoir un autre sens proche du premier. De leur rôle de dérivation leur vient le nom de dérivatif. En français « é » est un dérivatif qui a pour sens ‘le contenu’. On le voit dans maisonnée qui signifie le ‘contenu en habitants d’une maison’, dans cuillerée qui est le ‘contenu d’une cuiller’, dans bouchée, ‘contenu de la bouche’. Un autre dérivatif français est « et » qui renvoie à l’idée de ‘petitesse’. Il est présent dans maisonnette qui veut dire ‘une petite maison’, dans blondinette qui signifie ‘une petite blonde’, dans poulet qui est ‘une jeune poule’ ou ‘un jeune coq’.


1.3. Qu’est-ce qu’un radical ?

Associée à un dérivatif, la racine devient un radical. Ainsi « maisonné » et « maisonnet » sont des radicaux. Quand la racine se dédouble pour marquer l’intensité ou la répétition, l’ensemble devient un radical. Quand elle s’associe à une autre racine chargée de lui apporter plus de précision sur l’identité de l’objet désigné, l’ensemble devient en radical. Bref si tout ce qui concoure à donner du sens à un nom dépasse la racine, on a affaire à un radical.


1.4. Qu’est-ce qu’un affixe ?

Comme le dérivatif, l’affixe est une unité morphologique qui n’a pas d’existence autonome. Il n’existe que dans une association à une racine ou à un radical. Son rôle n’est pas d’apporter du sens ni d’être un complément de sens mais d’orienter le radical (ou la racine) vers une catégorie grammaticale qui peut être le genre ou le nombre : « e » de maisonnée et « te » de maisonnette représentent, dans des formes en surface différentes, l’affixe indiquant que le NCO auquel elles sont associées chacune est du genre féminin. L’affixe peut se situer à droite ou à gauche du radical. Quand il est à droite il est un suffixe ; quand il est à gauche, il est un préfixe.

1.5. Fonction lexicale et fonction grammaticale

La racine et le dérivatif ont la même fonction : apporter du sens au nom. Elle est dite fonction lexicale. La fonction de l’affixe qui est de dire la catégorie grammaticale à laquelle appartient le nom est dite fonction grammaticale.


La racine, le dérivatif et l’affixe se manifestent dans la langue au moyen de schèmes sonores dont le format est souvent codifié dans chaque langue. Lorsque le nom associe en son sein plus d’une unité à la fois, il peut modifier leurs formes de base. Pour en connaître les règles de modification il faut connaître les formes de base des composants.


2. Le schème phonique de base de la racine tem

Le schème de la racine tem est monosyllabique. Comme, pour toute langue, le schème par excellence d’un monosyllabe est CV, le schème de base du monosyllabe tem est CV. Le C représente chacune des quinze consonnes (b c ɖ f k kp l m n ny ŋm s t w y) et le V chacune des neuf voyelles (a e ɛ i ɩ o ɔ u ʋ) de la langue.

Pour connaître le nombre de monosyllabes CV que peut produire la combinaison de chacune des consonnes avec chacune des voyelles, il suffit de multiplier le nombre des consonnes par le nombre des voyelles. Le résultat donne 135 CV différents. Cent-trente-cinq CV ne suffisent pas pour les milliers de racines à verbaliser. Il est vrai qu’on peut exploiter l’homophonie en attribuant le même schème CV à plus d’une racine. Les limites imposées à ce procédé sont telles qu’il est impossible d’atteindre le nombre de CV qu’il faut pour l’expression des racines tem. 

Pour satisfaire le besoin de schèmes en nombre suffisant, tout en restant dans le cadre monosyllabique, le tem a trouvé deux astuces : 1) élargir CV, 2) réduire CV.
L’élargissement consiste à agrandir la taille du monosyllabe par un élément non susceptible de créer une nouvelle syllabe. Cet élément ne peut être qu’une consonne. La consonne d’élargissement a trois positions au choix dans le schème CV : a) précéder C pour faire CCV, b) suivre C pour avoir CCV et d) suivre V pour avoir CVC. C’est la troisième solution qui est choisie. Elle est l’unique solution adoptée pour l’élargissement. Ainsi, à côté du schème CV, on aura un schème CVC.

Le C- de CVC est du même type que C de CV, c’est-à-dire n’importe laquelle des quinze consonnes. Mais le -C de CVC est réduit à cinq consonnes qui sont /b ɖ k s t/. Au schème CV viennent donc s’ajouter les schèmes CVb, CVɖ, CVk, CVs et CVt.

La position de -C est une position postvocalique permanente. Aussi les consonnes représentées y affichent-elles la forme qu’elles prennent après les opérations successives de voisement et de désocclusion. Rappelons qu’après ces opérations /b/ devient [w] ou [m], /ɖ/ devient [r], /k/ devient [w] ou [ŋ], /s/ devient [z] et /t/ devient [l] ou [n]. 

/CVb/ => [CVw] ou [CVm]
/CVɖ/ => [CVr]
/CVk/ => [CVw] ou [CVŋ]
/CVs/ => [CVz]
/CVt/  =>  [CVl] ou [CVn]

Les schèmes CVw, quelles que soient leurs origines, sont identiques, donc ne font qu’un. Aussi, après l’opération d’élargissement, dispose-t-on de huit schèmes : CV, CVw, CVm, CVr, CVŋ, CVz, CVl et CVn.

La réduction de CV, elle, peut se faire aux dépens de C ou de V. Elle se fait aux dépens de V exclusivement. Donc l’opération de réduction transforme CV en C. Mais, à vrai dire, elle est rare. Seules les connes /ɖ/ et /s/ sont attestées, dans un seul nom chacune.

Au total, après l’opération de multiplication de schèmes phoniques monosyllabiques, on dispose de dix schèmes : CV, CVw, CVm, CVr, CVŋ, CVz, CVl, CVn, ɖ et s.


3. Le schème phonique de base de l’affixe tem

Le nom tem dispose de neuf affixes, qui sont des suffixes. Leur nombre limité permet de connaître leurs schèmes réels, qui sont /ba, ka, b, ɖ, k, s, t, ʋ, a/. Comme celui la racine, le schème de l’affixe est monosyllabique. Comme ceux de la racine, les schèmes de l’affixe sont le résultat d’une opération de multiplication avec la seule opération de réduction qui se fait aux dépens de V de CV.

S’il est possible de révéler le monosyllabe CV dont le C a été retenu, ce n’est pas le cas avec le V. V n’est-il pas un monosyllabe de base au même titre que CV ? Un monosyllabe présent dans les schèmes des unités affixales mais absent dans les schèmes de racines ? Voici les neuf affixes répartis selon leurs schèmes respectifs :

CV : ba ka
C : b k ɖ s t
V : ʋ a



lundi 4 juin 2012

Initiation à la grammaire tem Chapitre 2 : les consonnes Leçon 3 : l’érosion de la consonne par la voyelle



Quand une goutte d’eau tombe sur la roche, occasionnellement, elle se contente de la mouiller. Mais quand elle tombe en permanence au même endroit elle finit à la longue par désintégrer la roche. C’est ce qui se passe, en tem, entre la voyelle, la goutte d’eau, et la consonne, la roche. Mais tout dépend de la position qu’occupe la voyelle par rapport à la consonne. Quand elle suit la consonne dans une séquence CV, elle met en valeur la consonne ; elle lui permet d’être audible. C’est quand elle précède la consonne dans une séquence VC qu’elle entreprend de l’éroder.

Mais l’érosion vocalique ne procède pas de la même façon que l’érosion aquatique. La voyelle agit, on dirait, par générosité. Elle tente de transmettre à la consonne les propriétés propres à la voyelle, ce qui, progressivement défigure la consonne et parfois parvient à la faire disparaître.

Toutes les consonnes ne sont pas sensibles aux « charmes destructeurs » de V de VC. Des quinze consonnes tem (b c ɖ f k kp l m n ny ŋm s t w y), seules /b c ɖ f k kp s t/ y sont sensibles. Le processus d’érosion s’effectue en trois phases : le voisement, la désocclusion et la destruction totale. 

1. Opération « voisement »
Soit les noms fara ‘dabas’, tara ‘palmes de raphia’ et le déterminant pronominal ba ‘leur’. Le déterminant se lie au nom déterminé, qu’il précède, on peut donc le représenter par ba- ; dès lors la voyelle du déterminant forme avec la consonne initiale du déterminé un couple VC, et C devient voisé s’il ne l’était pas. Ainsi /ba- fara/ ‘leurs dabas’ devient [bavara] et /ba- tara/ ‘leurs palmes’ devient [badara].

En présence de V- (a-) du déterminant, f et t ont dû abandonner leur propriété « non-voisé » au profit de la propriété « voisé ». Cette nouvelle propriété est apportée par la voyelle avec laquelle ils forment désormais le couple VC, parce qu’une voyelle est voisée par définition. C’est une particularité de la voyelle tem que d’imposer cette propriété qui lui est inhérente à la consonne qu’elle précède immédiatement. Les consonnes qui échappent à cette action sont celles qui sont naturellement voisées, c’est-à-dire b et ɖ. Ainsi /ba- bɩnɩ/ ‘leur année’ se réalise [babɩnɩ] et /ba- ɖaazɩ/ ‘leurs bois’ se réalise [baɖaazɩ]. Les autres, /c f k kp s t/, n’y échappent pas, à l’exemple de [bavara] et [badara] ci-dessus. 

2. Opération « désocclusion »
L’opération de voisement est une opération sporadique. Elle n’a lieu que quand le lien de C avec V- est occasionnel. Mais quand C est obligé de cohabiter en permanence avec V-, alors en plus du voisement V- entame l’obstacle qui a servi à produire C. La cohabitation entre la consonne d’un suffixe et la voyelle du radical suffixé est permanente. Les consonnes de suffixe concernées sont b ɖ k s t. Dans ce contexte de VC permanent, C subit naturellement l’opération de voisement, ce qui transforme (ou non) /b ɖ k s t/ en [b ɖ g z d]. En quoi consiste l’attaque de l’obstacle de C ?

La nouvelle opération vise à affaiblir l’obstacle qui est à l’origine de la consonne. La voyelle est, par définition, absence d’obstacle alors que la consonne est par définition présence d’obstacle. On sait que les consonnes sont produites avec deux types d’obstacle, l’occlusion et la constriction. La constriction est déjà un obstacle faible puisqu’elle laisse passer l’air. L’affaiblir serait l’obliger à s’ouvrir davantage, ce qui risque de mettre en jeu son existence. Or tel n’est pas l’objectif de l’opération. En revanche l’affaiblissement de l’occlusion sans détruire l’obstacle est possible. Il suffit de l’ouvrir légèrement, ce qui le transforme en constriction. L’attaque de l’obstacle se ramène donc concrètement à une opération de désocclusion. Puisqu’il s’agit d’attaquer l’occlusion la consonne s/z fondée sur une constriction, n’est pas concernée. Seules sont concernées b, ɖ, k/g et t/d. 

L’opération de désocclusion transforme une occlusive (+Occl) en une constrictive (-Occl) pouvant être produite au même lieu : ainsi b devient w, ɖ devient r, g devient w et d devient l. Quand une consonne nasale peut se réaliser au même lieu, la désocclusion peut se transformer en opération de nasalisation. Ce qui est logique car la nasalisation est une forme de désocclusion puisque pendant la production d’une nasale l’air continue de passer librement par les fosses nasales. Du coup b peut devenir m au lieu de w, g peut devenir ŋ au lieu de w et d peut devenir n au lieu de l. Au total, l’opération de désocclusion donne ceci : b > w ou m ; ɖ devient r ; k/g devient w ou ŋ, t/d devient l ou n.

Exemples :
b : /yu –ba/ ‘rats’ se réalise [yuwa] et /lɩ -bʋ/ ‘eau’ se réalise [lɩm].
ɖ : /wɩ –ɖɛ/ ‘jour’ se réalise [wɩrɛ].
k : /bu –ka/ ‘rivière’ se réalise [buwa] et /bɛɛ -kɩ/ ‘regarder’ se réalise [bɛɛŋɩ].
t : /baa –tɩ/ ‘palmiers’ se réalise [baanɩ] et /kaa –tɩ/ ‘marcher à quatre pattes’ se réalise [kaalɩ].

Il arrive que l’occlusion résiste à l’opération. C’est ainsi que /b -bɩ/ donne [bɛbɩ] ‘couver’ au lieu de *bɛm ou *bɛwʋ. C’est ainsi aussi que /faa -dɩ/ donne [faadɩ] ‘feuilles’ au lieu de *faanɩ. 

3. Opération « destruction d’obstacle »
Un nom commun comprend un radical et un suffixe. Quand le suffixe est de type CV et qu’il doit être lié au radical, comme pour protéger sa consonne de l’action de la voyelle du radical, il installe, tel un bouclier, une copie de sa propre voyelle entre lui et le radical. De sorte qu’un suffixe CV1 devient V1CV1 face au radical. Mais V1- a beau appartenir au suffixe, il n’en reste pas moins une voyelle. Non seulement elle agit comme l’aurait fait la voyelle du radical, c’est-à-dire voiser la consonne suffixale puis ouvrir son occlusion, mais en plus elle crée un nouveau contexte, l’embrassement de C par le même timbre, qui renforce la tentative d’ouverture de l’obstacle. 

Les consonnes produites suite aux opérations de voisement et désocclusion sont [w] pour /b/ et /k/, [m] pour /b/, [ŋ] pour /k/, [r] pour /ɖ/, [z] pour /s/, [l] et [n] pour /t/. De ces sept sous-produits ([w m ŋ r z l n]) seul [w] est vulnérable. Sa constriction est la plus faible, au point que cela met [w] à mi-chemin entre la voyelle et la consonne, d’où sa caractérisation de semi-consonne ou de semi-voyelle. Une pression supplémentaire sur l’ouverture de l’obstacle due à l’embrassement finit par venir à bout de l’obstacle qui fait de [w] une consonne ; [w] tombe et la séquence V1wV1 devient V1V1. Les suffixes concernés, /ba ka kʋ/ se transforment successivement en /aba, aka, ʋkʋ/ puis /aba, aga, ʋgʋ/ après voisement puis /awa, awa, ʋwʋ/ après désocclusion et, enfin [aa, ɔɔ, ʋʋ] après embrassement. A la place de [aa] attendu pour /awa/ de /aka/ on a [ɔɔ], pourquoi ?

La propriété « vélaire » de w est l’équivalent de la propriété « +Ro » présente dans ɔ. En tombant, w peut laisser à [aa] sa trace sous forme de « +Ro ». Dans cette hypothèse, ce qui est valable pour w de k devrait l’être pour w de b parce que, quelle que soit l’origine de w, la semi-voyelle garde les mêmes propriétés. En fait, si on respectait les résultats de la chute de w, on devrait avoir soit [aa] en cas d’une sans trace de w soit ɔɔ en cas d’une chute avec trace. Quel que soit le choix, on aurait obtenu une désinence unique pour deux entités différentes. Les noms wolaa (wol-ba) ‘souris, Pl’ et lɩzɔɔ (lɩz-ka) ‘divinité’ auraient la même désinence wolaa/*lɩzaa ou *wolɔɔ/lɩzɔɔ. C’est très probablement pour éviter une confusion que la langue a adopté la possibilité [aa] pour une catégorie d’entités et la possibilité [ɔɔ] pour l’autre.