dimanche 2 septembre 2012

Initiation à la grammaire tem. Chapitre 3 : Le nom. Leçon 9 : Le pronom dans tous ses états

Dans le discours, l’unité grammaticale spécialisée dans la reprise du nom est le pronom. Il n’y en a qu’un par langue. Mais tel un caméléon, il se couvre de robes différentes pour s’adapter à certains contextes, sémantiques ou syntaxiques. En tem, les contextes qui contraignent le pronom à changer de robe sont le genre, le pluriel et l’autonomie morphosyntaxique.

1. Le contexte du genre

Dans une langue sans genres, le pronom a la même forme pour tous les noms du lexique. Dans une langue à genres, il doit refléter le genre du nom repris. Pour cela il prend une forme spécifique propre à ce genre. Généralement, le pronom, tel ce mollusque des plages qui squatte le coquillage vide à sa portée, prend la forme du marqueur de genre. On sait que le tem a quatre genres : le genre humain dont le marqueur est ʋ, le genre dérivé dont le marqueur est ɖ, le genre menu dont le marqueur est ka et le genre neutre dont le marqueur est k. Les formes de ces marqueurs sont autant de refuges pour le pronom. Ainsi, il prend la forme ʋ pour le genre humain, la forme ɖ pour le genre dérivé, la forme ka pour le genre menu et la forme k pour le genre neutre. Dans le tableau qui suit G1, G2, G3 et G4 représentent respectivement le genre humain, le genre dérivé, le genre menu et le genre neutre.

G1   G2   G3   G4
|   |   |   |
ʋ   ɖ   ka   k

2. Le contexte du pluriel

Le changement de forme du pronom quand le nom dont il est le substitut passe au pluriel semble une constante dans les langues. Dans une langue à genres, le substitut pronominal d’un nom au pluriel doit refléter à la fois le genre et le pluriel. Les quatre genres du tem regroupent, chacun, des noms comptables. Ceux-ci peuvent donc subir une dérivation plurielle. On sait que la pluralisation se fait en tem au moyen de la substitution du marqueur de genre par un marqueur de pluriel. Donc, au pluriel, le nom affiche un nouveau marqueur. La coquille de ce marqueur devient le refuge du pronom pluriel. Comme les marqueurs de pluriel des genres sont, dans l’ordre, ba, a, s et t, le pronom aura les formes respectives suivantes : ba, a, s et t. Il faut y inclure la forme de pluriel b réservée à certains noms à valeur dense ; en la squattant le pronom épouse sa forme. Au total, les formes de pluriel du pronom sont les suivantes :

G1   G2   G3   G4   dense
|   |   |   |   |
ba   a   s   t   b

On notera que le pronom n’emprunte à l’affixe du nom que sa carcasse segmentale. A la différence du suffixe nominal, le pronom n’est pas associé à l’accent.

3. L’autonomie morphosyntaxique

Outre leur différence de forme, l’unité grammaticale et l’unité lexicale assument des fonctions différentes. Le pronom est, par sa forme, une unité grammaticale mais il est appelé à assumer des fonctions réservées à l’unité lexicale. Cette situation l’amène à adopter deux types de forme dans le discours, l’un quand il est en situation de dépendance par rapport à une unité lexicale et l’autre quand il est autonome par rapport aux unités lexicales environnantes.

3.1. La dépendance

En fonction sujet, le pronom est intimement lié au verbe, une unité lexicale. Cette union se manifeste par l’assomption de certains marqueurs verbaux par le pronom. Dans l’exemple qui suit, l’accent H est un marqueur verbal (il exprime l’injonction (Inj)) pourtant il est fixé, non pas par le verbe salaɁ mais par le pronom ba.

bá salaɁ
ba   H   salaɁ
ils   Inj   tomber
Qu’ils tombent !

Dans cet autre exemple, ɩ H est le marqueur qui indique que le verbe est à l’aspect accompli. L’assimilation de son segment ɩ par la voyelle de ba montre que le marqueur verbal s’adosse au pronom. Le radical n’en reçoit que l’accent.

baa zálaɁ
ba   ɩ H   salaɁ
ils   Acc   tomber
Ils sont tombés

Ci-dessous le marqueur verbal d’inaccompli Hn repose entièrement sur le pronom ba. Son segment n se fond dans la voyelle du pronom qui devient nasale, et c’est la même voyelle qui sert de support à l’accent H.

bâ̰ zalîɩ
ba   Hn   salîɩ
ils   Inac   tomber
Ils vont tomber

En fonction de déterminant de nom, le pronom est préfixé et directement lié au nom déterminé. Etant ainsi en contact direct avec le nom, sa voyelle impose son influence affaiblissante à la consonne du déterminé. Dans l’exemple suivant, l’affaiblissement de f de fará en v sous l’influence de a de ba prouve que ba et fará sont intimement liés.

ba vará
ba   fará
leurs   dabas
Leurs dabas

Dans les deux contextes de fonction sujet et de déterminant, le pronom est intégré dans une unité lexicale, laquelle lui assure la dépendance qui est le propre d’une unité grammaticale. Dans ces conditions, le pronom garde les formes empruntées aux affixes qui, rappelons-le, sont les marqueurs de genre (MG) et les formes du marqueur de pluriel (MP) :

  MG   MP
  |   |
G1 ʋ   ba
G2 ɖ   a
G3 ka   s
G4 k   t
dense     b

Le tableau ci-dessus fait apparaître trois types de schème phonématiques pour le marqueur (M) : CV, V et C. Dans le discours, le schème C recourt à une voyelle de soutien. Celle qui lui est offerte est ɩ. Ainsi pour devenir schème de pronom, le schème C de marqueur doit s’ouvrir pour devenir CV. Voici donc les schèmes du pronom (P) selon qu’il représente le nom ou son pluriel :

M       P
|       |
b    
ɖ     ɖɩ
k    
s    
t    

En principe, les schèmes a et ʋ constitués chacun d’une voyelle ne devraient pas avoir de problèmes, mais c’est sans compter avec ʋ. Soit le corpus de noms et de verbes suivant où H représente un accent flottant :

tûʋ   maître, seigneur
ɩzá   yeux
Hn sám   être en train de / féliciter
ɩ H sa   avoir / féliciter

Intégré dans unités lexicales, le schème a ne change pas de forme :

a dûʋ   leur maître
a azá   leurs yeux
â̰ zám   ils sont en train de féliciter
aa zá   ils ont félicité

Dans les mêmes conditions, le schème ʋ, lui, se mue en wa devant une voyelle ou un n syllabique :

ʋ dûʋ   son maître
wa azá   ses yeux
wâ̰ zám   il est en train de féliciter
waa zá   il a félicité

Les formes que prend le pronom en fonction sujet ou de déterminant sont, dans le discours, les suivantes, avec FG pour forme de genre et FP pour forme de pluriel :

  FG   FP
  |   |
G1 ʋ/wa   ba
G2 ɖɩ   a
G3 ka  
G4  
dense    

Les modifications imposées par le discours ne s’arrêtent pas là. En tant qu’unité morphologique dépendante d’une unité lexicale en situation de préfixe, le pronom doit accueillir à la fois la propriété ATR et la propriété Ro de la voyelle radicale au profit de la sienne. Ainsi, selon le contexte a peut se réaliser a, ɛ, ɔ, e ou o ; de son côté ɩ peut se réaliser ɩ, ʋ, i ou u. Mais l’harmonie vocalique n’est pas spécifique au pronom. Elle est le sort réservé à toute unité grammaticale dépendante au sein du domaine d’une unité lexicale. Toutefois, l’harmonisation vocalique souligne la dépendance du pronom par rapport au nom dont il est le déterminant ou au verbe dont il est le sujet.

3.2. L’autonomie

Deux indicateurs signalent l’autonomie du pronom dans le discours : 1) la non soumission à l’harmonie vocalique et 2) la différence de forme par rapport à celle du pronom en fonction sujet ou de déterminant. Cette autonomie se manifeste dans deux instances syntaxiques : la fonction objet et l’emphase.

3.2.1. L’autonomie du pronom en fonction objet

Un match de football oppose deux équipes A et B. Un spectateur souhaite que les joueurs de l’équipe A gagnent ceux de l’équipe B. Il énonce son souhait en se servant du même pronom ba en fonction sujet et en fonction objet autour du verbe ɖi HɁ ‘gagner’ :

bé ɖí wêɁ
ba   H   ɖi HɁ   wɛ HɁ
ba sujet   Inj   Verbe   ba objet
Qu’ils les gagnent !

Puis il fait un constat à l’aide du même pronom autour du même verbe :

bee ɖi wɛɁ
ba   ɩ H   ɖi HɁ   wɛ HɁ
ba sujet   Acc   Verbe   ba objet
Ils les ont gagnés

Dans le souhait comme dans le constat, la voyelle de ba en fonction sujet subit les règles de l’harmonie vocalique qui la contraignent à adopter les propriétés +ATR et -Ro de i, la voyelle du verbe. Cette contrainte trahit la dépendance de ba au verbe. Si les mêmes contraintes avaient été imposées à la voyelle de ba objet, elle se serait réalisée e. ba objet est donc indépendant du radical verbal. Pourquoi ba objet se réalise-t-il wɛ HɁ ?

La forme wɛ HɁ n’est pas celle d’une réalité totalement nouvelle. Dans la forme de base il y a ba. Comment ba qui, en autonomie aurait dû se réaliser ba, se réalise-t-il wɛ HɁ ?

Pour que a de ba devienne ɛ, il faut qu’il ait subi une coalescence avec ɛ ou ɩ. Il n’existe pas, dans la langue un morphème ɛ, en revanche ɩ est souvent le corps nombre de morphèmes. La coalescence s’est donc opérée entre a et ɩ. ba étant dépourvu d’accent, c’est ɩ qui est l’unité qu’accompagne l’accent flottant de wɛ HɁ. Doté d’un accent, ɩ prend l’allure d’un suffixe. Mais pour être un vrai suffixe il aurait fallu que son accent soit fixé par lui (ɩH) ou qu’il flotte à sa gauche () et qu’il ne soit pas affecté par un coup de glotte (Ɂ).

En réalité wɛ HɁ est un simulacre de suffixe. L’autonomie dans le discours est le propre d’une unité lexicale, notamment le nom. Pour tenir cette position, ba est obligé de simuler une structure nominale, faisant de son propre corps un simulacre de radical lexical qu’il fait accompagner par un simulacre de suffixe. Donc wɛ HɁ résulte de l’association du faux radical ba et du faux suffixe ɩ HɁ. Les autres formes du pronom en fonction objet relatives aux genres et au pluriel se construisent sur le même modèle.

ba   +   ɩ HɁ     wɛ HɁ
ka   +   ɩ HɁ     kɛ HɁ
ɖɛ   +   ɩ HɁ     ɖɛ HɁ
a   +   ɩ HɁ     yɛ HɁ
ʋ   +   ɩ HɁ     yɩ HɁ
  +   ɩ HɁ     bɩ HɁ
  +   ɩ HɁ     kɩ HɁ
  +   ɩ HɁ     sɩ HɁ
  +   ɩ HɁ     tɩ HɁ

Constat et explication :

a) La coalescence entre a ou ɛ et ɩ donne ɛ.
b) La coalescence entre ɩ ou ʋ et ɩ donne ɩ.
c) L’affaiblissement de b de ba en w n’a pas d’explication apparente.
d) Dans l’imitation du suffixe, ɖɛ a gardé l’épenthétique ɛ du vrai suffixe. C’est ce ɛ qui entre en coalescence avec ɩ, coalescence dont résulte ɛ.
e) Quand le schème du faux radical est V, le faux affixe l’embrasse en dégageant une copie de ɩ pour servir de préfixe : ɩ HɁ devient ainsi ɩ ... ɩ HɁ. Mais alors le ɩ préfixe devant une voyelle se transforme en consonne, en l’occurrence y ; l’ensemble de la construction /ɩ-V-ɩ HɁ/ se transforme en /y-V-ɩ HɁ/.

3.2.2. L’autonomie en situation d’emphase

Deux opérations énonciatives sont à la base de la situation d’emphase : la topicalisation et la focalisation.

L’emphase par la topicalisation

En grammaire de l’énonciation, une relation prédicative comprend deux participants (un agent et un patient) et, pour lier les deux, un relateur. D’une manière caricaturale on assimilera l’agent au sujet (S), le patient à l’objet (O) et le relateur au verbe (V). La relation prédicative sera ainsi symbolisée : <S V O>. L’un des deux participants peut être topicalisé, c’est-à-dire mis en exergue. Si les participants S et O sont des pronoms, leur topicalisation leur confèrera une forme spécifique et, en même temps, l’autonomie par rapport au relateur, du moins pour celui qui n’en avait pas. En effet, on sait qu’en tem le pronom objet, le O de la relation prédicative, est autonome ; ce qui n’est pas le cas du pronom quand il occupe la place du terme S de la relation.

Soit la relation prédicative <ba (S) da na (V) bɔ gɔɔnáaɁ (O)> dans le contexte de l’énoncé suivant :

bíya   sɩ sɩ   ba   da na   bɔ gɔɔnáaɁ
enfants   ils disent que   ils   n’ont pas vu   leurs mères
        S   V   O
Les enfants disent qu’ils n’ont pas vu leurs mères

Pour topicaliser S, on l’évince de la relation <S V O> et on le met en tête, bref on le préjette. Il devient alors ST (S topique), mais il laisse sa trace sous forme de S dans la relation qui devient <ST <S V O>>. Rendu autonome du relateur, ST reçoit une forme différente ; il devient bam (lire ce mot et, par la suite tout mot comportant une séquence finale Vm(Ɂ) avec un accent sur m) tandis que S, lui, reste ba :

bíya   sɩ sɩ   bam   ba   da na   bɔ gɔɔnáaɁ
enfants   ils disent que   eux   ils   n’ont pas vu   leurs mères
        ST   S   V   O
Les enfants disent que eux, ils n’ont pas vu leurs mères

Le pronom objet tem, le O de la relation prédicative, est autonome, on vient de le voir. Sa topicalisation ne lui apportera donc pas une autonomie qu’il a déjà mais une forme propre au pronom en situation d’emphase. Soit la relation prédicative <bɔ gɔɔnáa (S) ta na (V) wɛɁ (O)> dans le contexte de l’énoncé suivant :

bíya   sɩ sɩ   bɔ gɔɔnáa   ta na   wɛɁ
enfants   ils disent que   leurs mères   n’ont pas vu   les
        S   V   O
Les enfants disent que leurs mères ne les ont pas vus

Pour topicaliser le terme O il suffit de lui affecter la forme propre à un pronom topicalisé, laquelle est bamɁ pour le G1 pluriel ba :

bíya   sɩ sɩ   bɔ gɔɔnáa   ta na   bamɁ
enfants   ils disent que   leurs mères   n’ont pas vu   eux
        S   V   OT
Les enfants disent que leurs mères ne les ont pas vus, eux

L’emphase par la focalisation

La focalisation dont l’objet est d’identifier un être parmi d’autres met le pronom en situation d’emphase. Si l’on choisit de focaliser le terme O de la relation prédicative <bɔ gɔɔnáa (S) ta na (V) wɛɁ (O)>, wɛɁ sera préjeté hors de la relation :

bíya   sɩ sɩ   bam     bɔ gɔɔnáa   ta na
enfants   ils disent que   eux   c’est   leurs mères   n’ont pas vu
        OF   focalisateur   S   V
Les enfants disent que ce sont eux que leurs mères n’ont pas vus

Ici c’est encore la forme bamɁ que prend le pronom objet focalisé. C’est toujours la même forme quand le terme S qui est focalisé, comme ici :

bíya   sɩ sɩ   bam   ba   da na   ná   bɔ gɔɔnáaɁ
enfants   ils disent que   eux   ils   n’ont pas vu   c’est   leurs mères
        SF   S   V   focalisateur   O
Les enfants disent que ce sont eux qui n’ont pas vus leurs mères

La forme bamɁ est construite à partir de ba. Le complément est un autre simulacre de suffixe qui transforme le vrai suffixe Hb en bH, le tout affecté d’un coup de glotte : bHɁ. Le segment b affaibli par la voyelle du faux radical devient m.

Ainsi donc, en situation d’autonomie, tous les faux radicaux se laissent suffixer par mHɁ. Le fait est que le faux radical ʋ a une audibilité faible à cause de sa propriété -Ouv. En se laissant fermer par une consonne, qui plus est assombrissante, elle risque d’aggraver sa faiblesse. Pour y échapper ʋ affecte une copie d’elle-même en soutien à m qui devient alors le C d’une nouvelle syllabe CV ; l’opération transforme ʋmɁ en ʋmûɁ. Voici donc le tableau des formes de l’emphatique (E dans le tableau) selon qu’il indique un genre (G dans le tableau) ou le pluriel (P dans le tableau) :

  EG   EP
  |   |
G1 ʋmûɁ   bamɁ
G2 ɖɩmɁ   amɁ
G3 kamɁ   sɩmɁ
G4 kɩmɁ   tɩmɁ
dense     bɩmɁ

En autonomie donc, le pronom se présente sous une forme dont la structure s’apparente à celle du nom, c’est-à-dire une structure faite d’un radical et d’un suffixe.

Récapitulons

Pour s’adapter aux genres le pronom prend quatre formes :

G1   G2   G3   G4
|   |   |   |
ʋ   ɖɩ   ka  

Pour s’adapter au pluriel par genre et au dense il prend cinq formes :

G1   G2   G3   G4   dense
|   |   |   |   |
ba   a      

Pour s’adapter à la situation d’autonomie dans l’énoncé en fonction objet le pronom prend quatre formes par rapport au genre :

G1   G2   G3   G4
|   |   |   |
yɩ HɁ   ɖɛ HɁ   kɛ HɁ   kɩ HɁ

et cinq formes par rapport au pluriel :

G1   G2   G3   G4   dense
|   |   |   |   |
wɛ HɁ   yɛ HɁ   sɩ HɁ   tɩ HɁ   bɩ HɁ

Pour s’adapter à la situation d’autonomie dans l’énoncé en situation d’emphase le pronom prend quatre formes par rapport au genre :

G1   G2   G3   G4
|   |   |   |
ʋmûɁ   ɖɩmɁ   kamɁ   kɩmɁ

et cinq formes par rapport au pluriel :

G1   G2   G3   G4   dense
|   |   |   |   |
bamɁ   amɁ   sɩmɁ   tɩmɁ   bɩmɁ