vendredi 6 juillet 2012

Initiation à la grammaire tem Chapitre 3 : le nom Leçon 5 : L’expression du dense dans le nom

En présence d’un panier d’ignames, je peux compter les dix tubercules qu’il contient, l’un après l’autre, parce que les tubercules sont unités discrètes. Mais tout ce qui est discret n’est pas comptable. En présence d’une cuvette de grains de mil, je peux prélever un grain, deux, même trois, parce que j’ai affaire à des unités discrètes, mais s’il faut compter tous les grains de la cuvette j’y passerais ma vie. Les grains sont alors considérés comme constituant un corps dense. Le dense est quantifiable, je peux vendre mon mil à l’aide d’une calebasse ou d’une balance. Mais le dense est non-comptable. C’est une sorte de pluriel au carré.

La propriété de dense est étendue à tout corps physique qui est quantifiable, mesurable, mais non-comptable, tels que l’eau ou l’huile (corps liquides), le miel ou la colle (corps visqueux), la farine ou tout autre corps poudreux, le vent.

En tem, les noms qui désignent les êtres denses se répartissent en deux catégories : ceux qui utilisent le marqueur de pluriel affecté à un genre et ceux qui ont recours à un marqueur de pluriel spécifique.

1. L’expression du dense à l’aide du marqueur de pluriel

Quand un être dense est le produit d’un être comptable, son nom emprunte à la fois le radical du nom de l’être géniteur et la forme de son marqueur de pluriel. Toutefois, pour ne pas confondre le pluriel et le dense, la langue procède par astuces.

1.1. La réduplication

Le dense étant analogue une sorte de pluriel au carré, le procédé pour l’exprimer devrait être la réduplication du marqueur de pluriel. Ainsi, si yn, marqueur de pluriel, était le substitut de xn marqueur de genre, on devrait avoir Rad-xn pour le nom muni de son marqueur de genre xn, Rad-yn, la forme du pluriel du nom, et Rad-yn-yn le nom exprimant le dense grâce au dédoublement de y1. Le procédé est attesté par le nom commun faawʋ ‘feuille’ (fa-k) qui a pour pluriel faadɩ (fa-t). La plupart des médicaments traditionnels étant fabriqués à partir des feuilles, celles-ci ont donné leur nom à tout médicament. Mais au lieu de faadɩ , la forme désignant le médicament est faadɩnɩ , c’est-à-dire (fa-t-t), les suffixes et étant des variantes du même affixe .

faawʋ
faadɩ
faadɩnɩ
fa-k
fa-t
fa-t-t
genre neutre
pluriel de neutre
dense de neutre

Ce procédé est le plus attendu, pourtant il est d’un usage négligeable. Il n’est attesté que dans un seul mot, faadɩnɩ .

1.2. Le jeu des variantes

L’association entre un radical CVC et un marqueur (de genre ou de pluriel) doté d’une consonne (C ou CV) se fait de deux façons : avec ou sans liant, lequel est V. Ainsi CVC + C se réalise soit CVC-V-C, soit CVC-C. La réalisation CVC-V-C sert à exprimer le pluriel et l’autre (CVC-C) à exprimer le dense. En atteste le nom au radical sʋl (notion de néré) :

arbre de néré
sʋlʋʋ
sʋl-k
sʋl-ʋ-kʋ
genre neutre
arbres de néré
sʋlɩnɩ
sʋl-t
sʋl-ɩ-tɩ
pluriel de neutre
farine de néré
sʋtɩ
sʋl-t
sʋl-tɩ
dense de neuter

C’est aussi le cas du nom au radical wɩl (notion d’astre) :

étoile
wɩlɔɔ
wɩl-ka
wɩl-a-ka
genre menu
étoiles
wɩlasɩ
wɩl-s
wɩl-a-sɩ
pluriel de menu
soleil
wɩsɩ
wɩl-s
wɩl-sɩ
dense de menu

1.3. Le jeu des homophones

Dans le jeu des variantes, le besoin du liant V est au choix. La situation d’homophonie intervient quand la présence du liant V est obligatoire ou interdite.

Le liant est obligatoire quand le radical est de schème CV et si le marqueur comporte un C. /CV-C/ n’a qu’une réalisation, [CV-V-C], avec une forme de marqueur de pluriel commençant par C. L’invariabilité de la construction oblige le dense à copier la forme du marqueur de pluriel. C’est le cas du nom au radical (notion d’abeille) :

abeille
tʋʋ
tʋ-ʋ
tʋ-ʋ
genre humain
abeilles
tʋʋnɩ
tʋ-t
tʋ-ɩ-tɩ
pluriel de neutre
miel
tʋʋnɩ
tʋ-t
tʋ-ɩ-tɩ
dense de neuter

Le liant est interdit quand le radical est de schème CVC et que le marqueur est de schème V. /CVC-V/ n’a qu’une réalisation possible, [CVC-V]. La réalisation étant invariable, le dense ne peut que copier la forme du pluriel. C’est le cas du nom au radical mɩl (notion de sorgho) :

plant de sorgho
mɩlɛ
mɩl-ɖ
mɩl-ɖɛ
genre dérivé
plants de sorgho
mɩla
mɩl-a
mɩl-a
pluriel de dérivé
grains de sorgho
mɩla
mɩl-a
mɩl-a
dense de dérivé

1.4. Les denses, produits de producteurs inconnus

Les genres renferment beaucoup de noms d’êtres denses dont on ignore s’ils sont ou non le produit d’êtres discrets.

Genre dérivé
tola
tourteaux de céréales
bɩna
excréments
tɔɔlɩma
cendre

Genre menu
nyɔɔzɩ
fumée
feezi
blessure
ɖoozi
sauce

Genre neutre
loodi
ventre
loti
dartres
keti
gencives

2. Le dense exprimé par un marqueur spécifique

Il existe un marqueur de pluriel non affecté à un genre. Il s’agit de b. Il sert de marqueur de dense pour les noms d’êtres non pris en charge par les genres. Ce sont, entre autres :

lɩm
lɩ-b
eau
num
nu-b
corps gras
mʋlʋm
mʋlʋ-b
farine
cɩrɩm
cɩrɩ-b
sève

3. Est-il légitime de postuler un genre dense ?

Pour être génératrice de genre, une propriété doit être qualitative. Le dense est une propriété quantitative. Pour exprimer le dense la langue réutilise le marqueur de pluriel. Celui-ci peut avoir la forme d’un marqueur spécifique à un genre ou une forme non attribuée.

Une forme de marqueur de pluriel attribuée permet de reconnaître le genre du nom qu’il quantifie non pas parce qu’il possède la propriété de ce genre mais simplement parce qu’il lui est attribué de façon spécifique. Donc la forme b du marqueur de pluriel ne possède pas de propriété qui puisse renvoyer à un genre.

S’il existait un genre dense il regrouperait aussi bien les noms affectés par la forme b que les autres formes de pluriel. Il regrouperait aussi les noms exprimant le dense avec un marqueur de genre tels que nimini ‘feu’ du genre humain, ɖoolɔɔ ‘soif’ du genre menu ou uyoluu ‘chaleur’ du genre neutre.

Il n’en reste pas moins, comme on le verra dans une prochaine leçon, que b prête son schème d’accord dans l’énoncé aux infinitifs dont le propre est de servir de noms aux notions de procès qui, par définition, ne sont ni discrètes ni denses mais à la fois non-quantifiables et non-comptables.

En somme le dense est un degré de la quantité. Il appartient au paradigme de quantité et non à celui de qualité qui est le paradigme des marqueurs de genre.

Remarque : L’annonce de cinq genres au lieu de quatre dans la leçon 3 du chapitre 3 est à réviser.