lundi 4 juin 2012

Initiation à la grammaire tem Chapitre 2 : les consonnes Leçon 3 : l’érosion de la consonne par la voyelle



Quand une goutte d’eau tombe sur la roche, occasionnellement, elle se contente de la mouiller. Mais quand elle tombe en permanence au même endroit elle finit à la longue par désintégrer la roche. C’est ce qui se passe, en tem, entre la voyelle, la goutte d’eau, et la consonne, la roche. Mais tout dépend de la position qu’occupe la voyelle par rapport à la consonne. Quand elle suit la consonne dans une séquence CV, elle met en valeur la consonne ; elle lui permet d’être audible. C’est quand elle précède la consonne dans une séquence VC qu’elle entreprend de l’éroder.

Mais l’érosion vocalique ne procède pas de la même façon que l’érosion aquatique. La voyelle agit, on dirait, par générosité. Elle tente de transmettre à la consonne les propriétés propres à la voyelle, ce qui, progressivement défigure la consonne et parfois parvient à la faire disparaître.

Toutes les consonnes ne sont pas sensibles aux « charmes destructeurs » de V de VC. Des quinze consonnes tem (b c ɖ f k kp l m n ny ŋm s t w y), seules /b c ɖ f k kp s t/ y sont sensibles. Le processus d’érosion s’effectue en trois phases : le voisement, la désocclusion et la destruction totale. 

1. Opération « voisement »
Soit les noms fara ‘dabas’, tara ‘palmes de raphia’ et le déterminant pronominal ba ‘leur’. Le déterminant se lie au nom déterminé, qu’il précède, on peut donc le représenter par ba- ; dès lors la voyelle du déterminant forme avec la consonne initiale du déterminé un couple VC, et C devient voisé s’il ne l’était pas. Ainsi /ba- fara/ ‘leurs dabas’ devient [bavara] et /ba- tara/ ‘leurs palmes’ devient [badara].

En présence de V- (a-) du déterminant, f et t ont dû abandonner leur propriété « non-voisé » au profit de la propriété « voisé ». Cette nouvelle propriété est apportée par la voyelle avec laquelle ils forment désormais le couple VC, parce qu’une voyelle est voisée par définition. C’est une particularité de la voyelle tem que d’imposer cette propriété qui lui est inhérente à la consonne qu’elle précède immédiatement. Les consonnes qui échappent à cette action sont celles qui sont naturellement voisées, c’est-à-dire b et ɖ. Ainsi /ba- bɩnɩ/ ‘leur année’ se réalise [babɩnɩ] et /ba- ɖaazɩ/ ‘leurs bois’ se réalise [baɖaazɩ]. Les autres, /c f k kp s t/, n’y échappent pas, à l’exemple de [bavara] et [badara] ci-dessus. 

2. Opération « désocclusion »
L’opération de voisement est une opération sporadique. Elle n’a lieu que quand le lien de C avec V- est occasionnel. Mais quand C est obligé de cohabiter en permanence avec V-, alors en plus du voisement V- entame l’obstacle qui a servi à produire C. La cohabitation entre la consonne d’un suffixe et la voyelle du radical suffixé est permanente. Les consonnes de suffixe concernées sont b ɖ k s t. Dans ce contexte de VC permanent, C subit naturellement l’opération de voisement, ce qui transforme (ou non) /b ɖ k s t/ en [b ɖ g z d]. En quoi consiste l’attaque de l’obstacle de C ?

La nouvelle opération vise à affaiblir l’obstacle qui est à l’origine de la consonne. La voyelle est, par définition, absence d’obstacle alors que la consonne est par définition présence d’obstacle. On sait que les consonnes sont produites avec deux types d’obstacle, l’occlusion et la constriction. La constriction est déjà un obstacle faible puisqu’elle laisse passer l’air. L’affaiblir serait l’obliger à s’ouvrir davantage, ce qui risque de mettre en jeu son existence. Or tel n’est pas l’objectif de l’opération. En revanche l’affaiblissement de l’occlusion sans détruire l’obstacle est possible. Il suffit de l’ouvrir légèrement, ce qui le transforme en constriction. L’attaque de l’obstacle se ramène donc concrètement à une opération de désocclusion. Puisqu’il s’agit d’attaquer l’occlusion la consonne s/z fondée sur une constriction, n’est pas concernée. Seules sont concernées b, ɖ, k/g et t/d. 

L’opération de désocclusion transforme une occlusive (+Occl) en une constrictive (-Occl) pouvant être produite au même lieu : ainsi b devient w, ɖ devient r, g devient w et d devient l. Quand une consonne nasale peut se réaliser au même lieu, la désocclusion peut se transformer en opération de nasalisation. Ce qui est logique car la nasalisation est une forme de désocclusion puisque pendant la production d’une nasale l’air continue de passer librement par les fosses nasales. Du coup b peut devenir m au lieu de w, g peut devenir ŋ au lieu de w et d peut devenir n au lieu de l. Au total, l’opération de désocclusion donne ceci : b > w ou m ; ɖ devient r ; k/g devient w ou ŋ, t/d devient l ou n.

Exemples :
b : /yu –ba/ ‘rats’ se réalise [yuwa] et /lɩ -bʋ/ ‘eau’ se réalise [lɩm].
ɖ : /wɩ –ɖɛ/ ‘jour’ se réalise [wɩrɛ].
k : /bu –ka/ ‘rivière’ se réalise [buwa] et /bɛɛ -kɩ/ ‘regarder’ se réalise [bɛɛŋɩ].
t : /baa –tɩ/ ‘palmiers’ se réalise [baanɩ] et /kaa –tɩ/ ‘marcher à quatre pattes’ se réalise [kaalɩ].

Il arrive que l’occlusion résiste à l’opération. C’est ainsi que /b -bɩ/ donne [bɛbɩ] ‘couver’ au lieu de *bɛm ou *bɛwʋ. C’est ainsi aussi que /faa -dɩ/ donne [faadɩ] ‘feuilles’ au lieu de *faanɩ. 

3. Opération « destruction d’obstacle »
Un nom commun comprend un radical et un suffixe. Quand le suffixe est de type CV et qu’il doit être lié au radical, comme pour protéger sa consonne de l’action de la voyelle du radical, il installe, tel un bouclier, une copie de sa propre voyelle entre lui et le radical. De sorte qu’un suffixe CV1 devient V1CV1 face au radical. Mais V1- a beau appartenir au suffixe, il n’en reste pas moins une voyelle. Non seulement elle agit comme l’aurait fait la voyelle du radical, c’est-à-dire voiser la consonne suffixale puis ouvrir son occlusion, mais en plus elle crée un nouveau contexte, l’embrassement de C par le même timbre, qui renforce la tentative d’ouverture de l’obstacle. 

Les consonnes produites suite aux opérations de voisement et désocclusion sont [w] pour /b/ et /k/, [m] pour /b/, [ŋ] pour /k/, [r] pour /ɖ/, [z] pour /s/, [l] et [n] pour /t/. De ces sept sous-produits ([w m ŋ r z l n]) seul [w] est vulnérable. Sa constriction est la plus faible, au point que cela met [w] à mi-chemin entre la voyelle et la consonne, d’où sa caractérisation de semi-consonne ou de semi-voyelle. Une pression supplémentaire sur l’ouverture de l’obstacle due à l’embrassement finit par venir à bout de l’obstacle qui fait de [w] une consonne ; [w] tombe et la séquence V1wV1 devient V1V1. Les suffixes concernés, /ba ka kʋ/ se transforment successivement en /aba, aka, ʋkʋ/ puis /aba, aga, ʋgʋ/ après voisement puis /awa, awa, ʋwʋ/ après désocclusion et, enfin [aa, ɔɔ, ʋʋ] après embrassement. A la place de [aa] attendu pour /awa/ de /aka/ on a [ɔɔ], pourquoi ?

La propriété « vélaire » de w est l’équivalent de la propriété « +Ro » présente dans ɔ. En tombant, w peut laisser à [aa] sa trace sous forme de « +Ro ». Dans cette hypothèse, ce qui est valable pour w de k devrait l’être pour w de b parce que, quelle que soit l’origine de w, la semi-voyelle garde les mêmes propriétés. En fait, si on respectait les résultats de la chute de w, on devrait avoir soit [aa] en cas d’une sans trace de w soit ɔɔ en cas d’une chute avec trace. Quel que soit le choix, on aurait obtenu une désinence unique pour deux entités différentes. Les noms wolaa (wol-ba) ‘souris, Pl’ et lɩzɔɔ (lɩz-ka) ‘divinité’ auraient la même désinence wolaa/*lɩzaa ou *wolɔɔ/lɩzɔɔ. C’est très probablement pour éviter une confusion que la langue a adopté la possibilité [aa] pour une catégorie d’entités et la possibilité [ɔɔ] pour l’autre.

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