mercredi 18 avril 2012

Bɔɔlaawʋ


Le mot tem bɔɔlááwʋ 'tombe' est un nom composé de bɔɔ-, radical du nom bɔɔwʋ́ ‘trou’ et de laawʋ. Au pluriel, il devient bɔɔlaanɩ. Le second composant est donc laawʋ (pl. laanɩ).

Il faut distinguer par la prononciation lááwʋ ‘forêt’ de laawʋ́ ‘mâchoire’, noms qui ont le même pluriel láánɩ. Le composant lááwʋ de bɔɔlááwʋ n’a donc rien à voir avec une partie du corps. Que représente-t-il alors ?

A première vue, on penserait à la forêt. Deux raisons à cela : a) les bouts de bois verts qui servent à fermer la tombe peuvent bourgeonner et créer un mini bois sur cette tombe ; b) le cimetière est à l’écart du village dans une zone qui, parce qu’il n’est pas cultivée, devient un bois, une forêt. Pourtant si laawʋ de bɔɔlaawʋ était forêt alors le mot composé serait plus approprié pour désigner un cimetière qu’une tombe puisqu’il signifierait, mot à mot, ‘forêt de trous’ ou, si on veut, ‘forêt de tombes’. Or bɔɔlaawʋ désigne une tombe et, quand il y en plus d’une, il devient bɔɔlaanɩ. On peut avoir plusieurs tombes mais rarement plusieurs cimetières dans un village.

Dans le composé bɔɔ-laawʋ, le composant le plus important est bɔɔ- de bɔɔwʋ. Cela veut dire que le nom bɔɔwʋ est l’élément déterminé. Si laawʋ est le déterminant, sa position à droite indique qu’il a une valeur de qualifiant ou de quantifiant. En effet, dans un nom composé tem, si le composant de gauche est le déterminant, c’est qu’il assume un rôle de localisateur. Par exemple, les noms naalɩm ‘lait de vache’ et yɩlɩm ‘lait maternel’ le composant lɩm ‘eau’ est le déterminé tandis que les composants naa-, radical de naanɩ‘vaches’ et yɩ-, radical de yɩlɛ ‘mamelle’, sont des déterminants. Ils jouent le rôle de localisation ; l’un localise l’eau par rapport à la vache, l’autre par rapport à une personne humaine. Dans les mots composés tels que abaalazɛɛm ‘homme de teint clair’ et alʋvalʋ ‘jeune mariée’, le radical abaala- ‘homme (vir)’ et alʋ ‘femme’ sont les composants déterminés. Le fait que leurs déterminants respectifs (kɩ sɛɛm ‘rouge’ et kɩ falʋ ‘nouveau’) sont des qualifiants les oblige à se positionner à droite du déterminé. On en déduit que dans bɔɔlaawʋ si la valeur sémantique majeure est dans le composant bɔɔ-, alors bɔɔwʋ ‘trou’ est  le déterminé. Par sa position à sa droite, laawʋ ne peut être qu’un qualifiant (ou un quantifiant).

Si laawʋ de bɔɔlaawʋ est un qualifiant (quantifiant) alors il ne s’agit pas de forêt. De quoi peut-il s’agir ? Un qualifiant dérive soit d’un radical adjectival soit d’un radical verbal. Les radicaux adjectivaux sont peu nombreux. Aucun d’eux n’a une forme qui le rapproche de  laawʋ. En revanche on relève deux verbes dont les radicaux se rapprochent de laawʋ ; ce sont laawʋ́ ‘faner’ et laá ‘faire une offrande’. Le verbe laawʋ est un verbe de qualification mais il ne concerne que les végétaux, particulièrement les légumineux. Bien que dépourvu de valeur de qualification, laa quant à lui est du domaine des rites religieux, ce qui le rapproche de la tombe, de la mort, toutes choses ou pratiques qui relèvent des rites religieux.

Du verbe laa sont nés de nombreux dérivés : 1) le substantif láádɩ ‘offrande, sacrifice’; 2) le nom composé laadɔ́ɔ (pl. laadásɩ) ‘terre où l’on fait des offrandes à ses aïeux, patrie’ ; 3) le substantif laawʋrɛ́ ‘parole forte, bénédiction ou malédiction’ ; 4) l’infinitif lekí ‘s’adresser à l’esprit d’un ancêtre pour solliciter de lui protection et meilleur sort, donner des conseils avec insistance à quelqu’un, lui faire des bénédictions’.

Dans ce champ sémantique de l’offrande et de la sollicitation, il peut y a voir une place pour un qualifiant laawʋ qui permet de distinguer un trou particulier, celui où l’on vient faire des offrandes et solliciter secours et protection. Les tombes des cimetières actuels ne sont pas construites pour durer. Deux ou trois ans après l’enterrement, la tombe disparaît. Le trou du bɔɔlaawʋ ne doit pas ressembler à nos tombes actuelles. Le bɔɔlaawʋ devait être un lieu de vénération commun à plusieurs familles. Il doit ressembler à une excavation sous le tronc d’un arbre comme le baobab ou à une grotte de montagne servant d’ossuaire ou de sépulture.