samedi 31 octobre 2009

Les langues africaines auraient-elles donc des genres ?


Il y a un terme qui aurait dû disparaître de nos mémoires d'écolier mais qui a retrouvé une seconde vie dans le langage spécialisé des experts en développement. Il n'y a pas un projet de développement, de promotion des droits humains qui, pour être crédible et finançable, ne prend en compte la question « genre ». Le « genre » des experts renvoie au seul genre féminin, c'est-à-dire à la femme. Les langues indoeuropéennes auxquelles est emprunté ce mot connaissent trois genres : le genre masculin, le genre féminin et le genre neutre. Certaines d'entre elles comme le français, se limitent à deux, le masculin et le féminin. Les langues négro-africaines connaissent-elles les genres, si oui, s'agit-il des genres sexués ?

Dans le monde, les langues sont regroupées en familles avec l'idée que les langues d'une même famille sont issues d'une même langue dite protolangue. Ainsi, la famille indoeuropéenne qui comprend les langues romanes, anglo-saxonnes, slaves, hindoues, iraniennes, etc. sont considérées comme issue d'une protolangue dite « indoeuropéen ». Les langues africaines sont, elles, réparties en quatre familles : la famille Khoisan dont le hottentot (Afrique du Sud, Namibie), la famille Nilo-saharienne dont le songhaï (Mali, Niger) et le sara (Tchad), la famille Afro-asiatique dont le hausa (Afrique de l'ouest) et la famille la plus étendue, le Niger-Congo, qui comprend la plupart des langues des pays arrosés par le Sénégal, le Niger, le Congo, le Zambèze. Dans la famille Afro-asiatique, une langue comme le hausa a des genres, basés sur le sexe comme ceux de l'indoeuropéen. Mais dans le Niger-Congo où les genres sont connus et très répandus, la discrimination de ceux-ci n'est pas à base sexuelle. Il n'y a donc pas de genres que sexuels. Pour comprendre la différenciation des propriétés des genres et le fait que toutes les langues ne sont pas à genre, il faut savoir ce qui décide une langue à répartir son lexique des noms en genres.

Soit deux langues A et B et leurs lexiques de noms respectifs. Les deux langues nomment les même réalités, mais avec des mots différents. Là où l'une dit horse, l'autre dit cheval pour le même animal. Les objets désignés par les deux lexiques peuvent être regroupés de la même façon par les communautés locutrices des deux langues : le groupe des animaux, celui des végétaux, le groupe des objets qui peuvent être comptés, celui des objets non comptables, le groupe des êtres sexués mâles, celui des êtres sexués femelles, etc. Alors que rien ne l'y oblige, la communauté de langue A peut décider de traduire dans les noms ce qui n'était, jusque là, que conceptuel. Ainsi, à chacun des noms d'un groupe on décidera d'apposer un affixe x1 (préfixe s'il précède le nom, suffixe s'il lui succède). Aux noms d'un autre groupe, ce sera l'affixe x2, et ainsi de suite jusqu'à épuisement des groupes retenus. Ainsi, au nom espagnol <muchach>, on apposera le suffixe <a> pour désigner une fille, muchacha (genre féminin) ou le suffixe <o> pour désigner un garçon, muchacho (genre masculin). Dans le même temps, la communauté de la langue B, bien que différenciant conceptuellement le féminin du masculin, ne procède à aucune modification de forme sur les noms du lexique de sa langue. Voilà pourquoi il peut y avoir (et il y en a effectivement) des langues à genres et des langues sans genres.

Mais une langue sans genres n'est pas forcément (et seulement) une langue dont la communauté s'est refusé une répartition du lexique des noms. Ce peut être une langue qui, au départ avait des genres, mais qui, avec le temps les a perdus. Parce que le système des genres qui repose sur une certaine vision que la communauté a du monde peut évoluer avec celle-ci. Voici par exemple le français avec deux genres, le féminin et le masculin, alors que le latin dont il est issu en avait trois, le féminin, le masculin et le neutre. L'évolution du système peut même aboutir à son extinction. Des langues comme le yoruba, le baoulé, le manding, l'éwé, qui sont pourtant des langues Niger-Congo, donc issues d'une protolangue distinguant des genres, n'en ont plus. Elles n'en ont gardé que des traces. En revanche la plupart des langues Bantu (swahili, zulu, etc.), des langues Gur (mooré, sénoufo, tem, etc.), des langues Ouest-atlantiques (peulh, wolof, etc.) ont encore des genres. Parmi les systèmes conservateurs de ces langues Niger-Congo à genres il y a le système tem.

Le tem, langue Gur, branche Gurunsi, parlée au Togo, compte cinq genres. Pour simplifier la présentation je vais représenter les affixes de genre par des x et les marqueurs de pluriel qui leur correspondent par des y. La langue compte quatre genres d'êtres comptables. Leurs affixes respectifs sont x1, x2, x3 et x4. A x1 correspond le marqueur de pluriel y1, à x2 le marqueur de pluriel y2, à x3 le marqueur y3 et à x4 le marqueur y4. Le cinquième genre représente des objets dense dont certains comme les céréales sont en principe comptables mais sont tellement dense qu'en pratique on ne peut les compter. Pour exprimer cette pluralité incomptable ce genre a choisi un affixe qui a la forme des marqueurs de pluriel, donc y5. On peut donc représenter les cinq genres du tem comme suit : genre x1 à pluriel y1, genre x2 à pluriel y2, genre x3 à pluriel y3, genre x4 à pluriel y4 et genre y5, soit encore, respectivement (x/y)1, (x/y)2, (x/y)3, (x/y)4 et y5. Le genre (x/y)1 est le genre des humains et assimilés. Le genre (x/y)2 est celui des dérivés ; ici dérivé désigne tout objet qui ne peut exister sans l'existence préalable d'un autre : un fruit n'existe pas sans son arbre, une palme n'existe pas sans son palmier, une dent sans la gencive, etc. Le genre (x/y)3 est le genre des objets plus petits que leur taille normale : un petit tabouret pour enfant, un petit d'homme ou d'animal, etc. Le genre y5 est celui des objets non comptables, matériels (farine, liquide) ou abstraits (joie, bravoure). Enfin, le genre (x/y)4 est le genre fourretout, celui qui recueille tout objet qui n'a pas pu entrer dans les critères des autres genres ; il récupère ainsi les êtres plus grands que nature (arbres, broussailles, montagnes), les emprunts qui sont, par définition, dépourvus d'affixes, etc.

Le genre ne se manifeste pas seulement au niveau du nom sous la forme de l'affixe nominal, il se manifeste aussi dans l'accord du nom avec ses adjectifs. En tem, l'adjectif qualificatif prend le même affixe que le nom qu'il qualifie, l'adjectif numéral, de « deux » à « cinq » prend aussi le marqueur de pluriel du nom qu'il quantifie. Il en est de même des démonstratifs et des adjectifs indéfinis. Mais le cœur de l'expression du genre est dans le pronom qui se substitue au nom du contexte gauche pour éviter la répétition. Ce pronom est littéralement le x ou le y accolé au nom. Si par exemple le nom qui désigne une mouche a pour affixe x3, le pronom qui remplace ce nom sera x3. On imagine le nombre de schèmes d'accord qu'il faut posséder par cœur pour parler le tem, en tout neuf schèmes d'accord : humain singulier, humain pluriel, dérivé singulier, dérivé pluriel, petit singulier, petit pluriel, neutre singulier, neutre pluriel et dense. Comparez cela aux pauvres quatre schèmes d'accord du français : masculin singulier, masculin pluriel, féminin singulier et féminin pluriel.

Le système des genres du tem est un modèle parmi d'autres. Il y en qui sont plus riches comme le sénoufo qui a six genres. Tout en maintenant les affixes pour les noms, le koulango et le lobiri, autres langues Gur (Côte d'Ivoire, Burkina) ont, quant à eux réduit ces nombreux genres à deux : le genre des êtres animés et celui des êtres inanimés, donnant lieu à quatre schèmes d'accord. Le mooré a, lui, abandonné tout ce qui est accord avec les adjectifs et les pronoms. Dans cette langue, quel que soit l'affixe qui marque le nom, on ne le retrouve ni dans l'adjectif ni dans le pronom.

Dans la plupart des langues Niger-Congo à système de genres actif, il existe certaines constantes. Le genre des êtres humains présente pratiquement les mêmes affixes, particulièrement l'affixe ba du pluriel qui peut être wa, be, etc. Un autre genre qui revient toujours est le genre des êtres particulièrement petits qui a pour affixe ka/wa/nga. Enfin, troisième genre constant, celui des objets denses qui a pour affixe bu/mu/m.

On a rarement constaté une langue qui génère des genres alors que la protolangue dont elle est issue n'en avait pas. Ce qui est plus courant est la tendance à la réduction des genres, surtout qu'à des siècles de distance, la vision du monde qui sous-tend les genres a complètement changé. Les communautés les plus dynamiques ont tendance à alléger les schèmes d'accord ou même à les supprimer. Mais les communautés les plus conservatrices qui maintiennent encore l'essentiel de cette création de nos lointains ancêtres nous ouvrent un grand livre sur notre histoire. Or, précisément les affixes ba et ka nous parlent d'Egypte. On y reviendra certainement.


mardi 20 octobre 2009

Le Soleil, notre Dieu Unique et Céleste à tous

Bien avant l'apparition des religions révélées (le judaïsme, le christianisme, l'islam) les peuples noirs africains, à la différence des autres peuples, n'étaient pas paganistes. Ils ne croyaient pas en plusieurs dieux. Ils croyaient en un dieu unique qui vit au ciel, et aux ancêtres qui, eux, vivent sous terre. Ces attributs unique et céleste justifient l'adoption des noms africains de dieu par les religions révélées. Jéovah et Allah sont indifféremment nommés Mawu, Esso, Nyamien, Lago, etc. dans les églises, temples et mosquées d'Afrique noire.
Alors, question : qu'est-ce qui a bien pu suggérer aux Négro-Africains l'idée d'un dieu unique et céleste avant les réligions du Livre? Pour y répondre, suivons ce que la lexicologie (étude du vocabulaire) du Tem, langue Gur, et ses proches parentes nous apprennent à propos de soleil.
Dans cette langue du Centre du Togo, les mots montrer, sécher, soleil et étoile ont la même racine, wil. Le rapport entre soleil et sécher est évident. Celui entre soleil et montrer l'est moins. Toutefois le rapprochement des deux mots avec étoile peut lever un coin du voile. En effet, il existe un point commun entre montrer (guider, orienter) et les deux astres. En mer et dans le désert, les seuls guides pour qui se déplace d'un point A à un point B sont le soleil le jour et les étoiles la nuit. Pour le marin et l'homme du désert, le soleil et les étoiles sont des sortes de skyguides.
Si la langue des Tem qui vivent aujourd'hui dans une zone forestière devenue savane à cause des pratiques culturales voit dans le soleil et les étoiles des guides, ce n'est pas par rapport l'environnement actuel, mais par rapport à un environnement antérieur qui a dû être un désert. Le peuple du désert auquel fait allusion la langue tem n'est assûrément pas le peuple tem actuel. Celui-ci ne peut être qu'une portion d'un peuple plus ancien dispersé par groupes, dont le groupe tem ou, plus vraisemblement une portion de groupe. L'hypothèse pourrait être justifiée si les peuples Gur parents, autres groupes ou portions de groupes de l'ancien peuple du désert, ont, eux aussi, la même racine pour désigner le verbe montrer et/ou le nom soleil. Parmi ces peuples parents il y a les Kabiyè du Togo, les Sissala et les Mossi du Burkina Faso. La langue kabiyè a le même mot que le tem pour désigner le soleil. Le sissala et le mooré (langue des Mossi) ont la racine win pour soleil. Les linguistes savent que souvent les consonnes l et n sont des variantes. Donc win et wil sont des variantes d'une même racine. Mieux, dans les langues du Burkina, soleil et dieu ont le même nom. Chez les Tem, dieu se dit Esso; c'est la même désignation en kabiyè mais ici Esso désigne aussi le soleil, parce que quand l'éclipse met aux prises le soleil et la lune, en kabiyè on parle plutôt de dieu (Esso) et de lune. Ainsi donc soleil et dieu sont une seule et même réalité.
L'évocaltion d'une vie antérieure dans le désert et l'association de soleil et dieu nous renvoient indubitablement à l'Egypte. La question n'est pas de savoir si cette Egypte antique était noire ou blanche, les mots envisagés ici disent simplement que les ancêtres des Gur actuels y ont vécu et y ont adoré un dieu unique et céleste symbolisé par le soleil. On peut même situer la période de ce séjour. Jusqu'à Akhénaton le panthéon égyptien était pluriel, un panthéon ayant à sa tête, il est vrai, le dieu Amon Râ , associé au soleil. Mais avec Akhénaton est intervenue l'unicité de dieu. Aton, le dieu d'Akhénaton n'était rien d'autre que le soleil. Avant de quitter l'Egypte, les ancêtres des Gurs actuels ont connu la période d'Akhénaton. Il semble qu'ils n'aient pas connu celle de Ramsès le Grand qui a restauré le panthéon pluriel et tenté de gommer de la mémoire de l'Empire le Pharaon hérétique et son unique Aton. Mais les Gurs ne sont pas les seuls héritiers d'Akhénaton parmi les peuples négro-africains. Comme je l'ai dit tantôt il n'y a pas une langue africaine qui n'ait un nom de dieu et un peuple qui ne croit en un dieu unique et céleste. Quand on sait que Moïse est comtemporain de Ramsès II et donc postérieur à l'apparition de la notion d'un dieu unique et céleste, on est tenté de penser que le dieu unique et céleste des trois Livres révélés est l'héritage d'Akhénaton et qu'en matière d'héritage du Pharaon, les ancêtres des peuples négro-fricains ont dû devancer les gens du Livre. Le dieu des Négro-Africains porte différents noms mais sous ces noms se trouve le même Etre unique et céleste, Aton ou le Soleil.