jeudi 24 décembre 2009

« Singulier », où te caches-tu ?


Tous les chiens mangent de la viande (1) : Chiens, nom commun d’animal, masculin, pluriel. Ton chien ne mange pas de viande (2) : Chien, nom commun d’animal, masculin, singulier ». Voilà un aspect de la grammaire que tout bon élève doit avoir retenu à la fin du cycle de l’école primaire.
La justification de « pluriel » de chiens se trouve dans le s final du mot ; où est la justification de « singulier » dans chien ? Puisque chien de (2) a la même orthographe que le mot chien tel qu’il figure dans le dictionnaire, peut-on en déduire que chien du dictionnaire est au singulier, lui qui représente non pas un chien particulier mais la notion de chien ?
Le bon élève doit aussi avoir retenu de l’école que « l’adjectif qualificatif s’accorde en genre et en nombre avec le nom auquel il se rapporte ». Il est vrai que le pluriel correspond à un certain nombre d’unités, deux au moins. Le singulier, lui, est censé représenté l’unité. Mais l’unité telle que la perçoit la langue et celle des mathématiques sont-elles mêmes ?
Ces deux interrogations exposent les trois points essentiels de la problématique du singulier : 1) puisque que à toute notion correspond une forme, quelle est la forme qui correspond au singulier ? 2) la représentation de l’unité par la langue est-elle assurée par un nombre ? 3) le singulier tel que l’enseigne la grammaire et tel que le postule le linguiste existe-t-il vraiment ?

« Singulier », où est ta forme ?
Toute notion à exprimer par la langue reçoit une forme, une expression physique. Un mot comme manguiers est composé de trois notions, ‘fruit d’un certain type’, ‘auteur’ et ‘nombreux’. La première a pour forme mang, la seconde a pour forme ier et la troisième a pour forme s. Si la grammaire prétend que le mot manguier est au singulier, cela suppose qu’il est, lui aussi, composé de trois notions : mang et ier qu’il a en commun avec manguiers et la troisième qui serait ‘unique’. Quelle est la forme de cette dernière ? La réponse du structuralisme est simple. Pour cette école linguistique tout, ou presque, est organisé en système. De plus, lorsqu’un système repose sur deux valeurs et ces valeurs sont contraires, l’économie commande que l’une des valeurs ait une substance nulle correspondant à l’absence de la substance de la valeur opposée. Dans ces conditions, l’absence de substance ou substance zéro est une forme. Pour le structuraliste la forme du singulier est l’absence de la substance 'pluriel'.
L’interprétation structuraliste pèche sur deux points, parfois contradictoires d'ailleurs : 1) puisqu'il n’y a pas de hiérarchie entre éléments d’un système et que les éléments s'impliquent mutuellement, l'on n’a pas pu concevoir l’un sans l’autre. Cette conception n’est pas conforme à la genèse du langage humain vue par les théories les plus sérieuses ni à l’évolution de la langue telle qu'elle s'offre à nos yeux; 2) dans le cas d’un système à deux éléments dont l’un est le contraire de l’autre, puisque l’élément à substance zéro a dû attendre que l’élément à substance positive s’installe avant, implicitement la théorie structualiste reconnaît une préséance, donc une hiérarchie. Peut-on admettre qu’il a fallu qu’il existe d’abord le pluriel avant que ne soit établi le singulier ? C’est le processus inverse qui est plus réaliste et, dans ce cas, parce qu’il y a préséance, il n’y a plus de système mais la dérivation.
La dérivation, elle, consiste à créer une notion, une expression nouvelles à partir d’une notion ou d’une expression qui existent déjà et qui se suffisent chacune à elles-mêmes. C’est le cas de mangue et manguier, l'arbre à partir du fruit (selon le besoin du désignateur et non l'inverse que commande la nature).
Dans la grammaire traditionnelle, celle de l’école, le singulier est censé caractériser un élément extrait d’une classe d’éléments semblables. Ainsi manguier de l’ouragan a déraciné le manguier du jardin (3) est singulier puisqu’il s’agit d’un arbre particulier et unique. Mais le bon élève du CM2 dirait que manguier de depuis il n’y a plus de manguier dans le village (4), est aussi singulier bien qu’il ne s’agisse pas d’un arbre particulier et unique, pour la simple raison qu’il n’a pas de s. La forme sans s de manguier à valeur générique de (4) prouve bien l’absence de s ne renvoie pas forcément à l’unité. Mais une question demeure, le manguier-générique n’a-t-il pas emprunté sa forme au manguier-particulier et unique ? Si c’était le cas on pourrait imaginer que quelle que soit la forme qu’on lui attribue, le singulier serait présent dans les deux types de manguier. Il faut donc chercher à savoir lequel du générique ou du spécifique a emprunté à l’autre.
La première attribution du nom manguier à un arbre a été faite sans que le désignateur ait eu besoin de courir le monde pour observer tous les manguiers du globe. Il a désigné un arbre, celui qui lui a donné le fruit succulent qu’est la mangue. Vu sous cet angle, c’est le générique qui aurait emprunté au spécifique. Mais ce point de vue est erroné. Il ignore un principe fondamental qui régit les désignations, la généricité. L’être, l’objet à désigner ne reçoit pas un nom propre, mais d’un nom contenant les propriétés (physiques et culturelles) qui permettent de le reconnaître. Ces propriétés qui ont une valeur descriptive (on voit le cas de ier ‘auteur’ de manguier) ouvre le nom à d’autres objets, ceux qui possèdent les propriétés qu’il renferme. Le nom est, dès lors, commun, donc générique. Le nom manguier qu’on croit propre à un arbre unique est, en fait un nom générique, représentant la classe de tous les manguiers du monde. Toute dénomination qui n’est pas délibérément spécifique (le nom propre) est, dès le départ, générique. C’est donc l’objet particulier et unique qui emprunte sa forme à la désignation générique. Il est donc inexact de parler de singulier pour manguier parce que cette notion y est inconnue.
Tout en gardant la même forme, manguier peut passer du générique au spécifique, notamment, à l’expression de l’unité. Ce passage est assuré par le contexte discursif. Dans (3) c’est le contexte du jardin qui indique le caractère spécifique de manguier. L’article « le » qui aurait pu jouer le rôle n’y est pour rien ici. Il peut exprimer le générique comme dans le manguier ne perd jamais toutes ses feuilles à la fois (5) ou le spécifique comme dans le manguier (en question) a été déraciné (6). Ce n’est donc pas dans la forme de manguier qu’il faut chercher le spécifique (dont l’expression de l’unité fait partie). Dans aujourd’hui j’ai abattu un manguier, demain j’en abattrai deux (7), manguier renvoie à l’unité non pas grâce à sa forme (absence de s) mais grâce à un, donc au contexte. Qu’il renvoie à manguier-particulier et unique ou à manguier-générique, manguier ne contient aucune notion qui puisse être identifiée de singulier.

Confusion entre le UN linguistique et le UN mathématique
Les mathématiques ont développé un langage spécialisé dont celui des nombres. Pour elles, UN est un nombre comme les autres. Il a une valeur numérique tout comme DEUX ou ZERO. A-t-il la même valeur numérique dans le langage ordinaire ? Deux faits de langue qui concernent, l’un le sens du mot nombre, l’autre le statut morphologique de UN, font pencher la balance vers le non.
Le mot nombre renvoie, dans le langage ordinaire, à une quantité importante d’objets discrets. L’expression ‘nombre de’ équivaut à ‘plusieurs’ dans, par exemple, nombre de manguiers sont attaqués par un insecte (8). Par ailleurs, du mot nombre dérive l’adjectif nombreux, lequel adjectif renvoie toujours à une quantité importante d’objets discrets : nombreux sont les manguiers qui sont attaqués par un insecte (9). Ainsi qu’on le voit, dans le langage de tous les jours, le mot nombre ne renvoie pas à UN et UN n’est pas un nombre.
Le nom donné à un nombre mathématique est généralement invariable. On dit deux aussi bien pour filles que pour garçons. Si dans une langue à genres comme le tem, les noms des nombres deux à cinq s’accordent en genre, c’est parce qu’ils font référence aux doigts de la main (pour deux, trois et quatre) et à la main elle-même (pour cinq). En revanche, dans bien des cas, UN s’accorde en genre et même en nombre dans les langues à genres ; alors qu’on dit deux mangues et deux manguiers, on dit une mangue mais un manguier ; on dira les unes et les autres pour les mangues et, pour les manguiers, les uns et les autres. Un/une, uns/unes sont des formes d’accord en genre et en nombre. Par sa position par rapport au substantif qu’il détermine, mais surtout par sa sensibilité au genre et au nombre de celui-ci, UN français est à classer parmi les déterminants non-numéraux tels que les démonstratifs, les définis et les indéfinis. Mais certaines langues vont plus loin en faisant de UN un déterminant qualificatif. C’est le cas du tem.
Dans cette langue Niger-Congo qui a cinq genres dont quatre ont une forme de pluriel, tous les déterminants de type adjectifs se placent à droite du nom déterminé. Les adjectifs se subdivisent en trois sous-classes selon leur mode de construction : sous-classe 1 : {Accord+Radical}, sous-classe 2 : {Dérivatif+Accord+Radical} et sous-classe 3 : {Dérivatif+Radical+Accord}. La sous-classe 1 est celle du démonstratif et du défini : yika ka-naɁ ‘cette calebasse-ci, yika kɛ-lɛɁ ‘cette calebasse-là’, yika ka-mɁ ‘la calebasse en question’. La sous-classe 2 est celle des numéraux et de l’indéfini : yisi na-sɩ-lɛɁ ‘deux calebasses’, yisi na-sɩ-rɩɁ ‘certaines calebasses’. Enfin la sous-classe 3 est des adjectifs qualificatifs : yika ku-muwu-ka ‘petite calebasse’, yisi ku-muyi-si ‘petites calebasses’, yika kɩ-kpɛd-ɔɔ ‘calebasse noire’, yisi kɩ-kpɛd-asɩ ‘calebasses noires’. Deux différences distinguent les sous-classes 2 et 3. D’une part le dérivatif : il est na pour la 2 tandis qu’il est pour la 3 ; d’autre part, la marque d’accord en genre et en nombre : elle précède le radical en 2 alors qu’elle le suit en 3. Ces deux différences tracent une frontière nette entre le numéral et le qualificatif. Où se situe UN parmi les trois sous-classes ? dans la sous-classe 3 : yika kʋ-ɖʋm-ɔɔ ‘une calebasse’. L’adjectif /kʋɖʋm/ ‘un’ est donc un adjectif qualificatif au même titre que /kɩkpɛd/ ‘noir’, /kʋfʋlʋm/ ‘blanc’.
En tem, l’objet en situation unitaire n’est pas perçu par la langue comme un objet à compter, mais à qualifier. L’origine du radical ɖʋm de kʋɖʋm dit même que l’objet est décrit. En effet, la racine du radical, ɖʋ vient de ɖaa commencer. Jusqu’à quatre, la numération est fondée sur le comptage des doigts de la main. Le doigt par lequel on commence l’énumération est dit kaaɖɛɁ, mot composé du radical ɖɛ qui est précédé de ka, affixe de genre de niika ‘doigt’. Le radical adjectival et l’infinitif ɖaa ont la même racine. C’est pourquoi c’est l’infinitif qui est utilisé pour créer l’expression kaɖaanga (ka-ɖaa-n-ka) ‘premier’ (parlant de niika ou de yika) ou l’expression kaɖaa kaɖaa ‘au début, au commencement’ avec le même affixe ka capturé de niika. KaaɖɛɁ ne fait donc que décrire le doigt par lequel l’on commence l’énumération. Quant au ɖʋm de l’adjectif qui qualifie l’objet unitaire, il ne fait que décrire l’état d’isolement ou de similitude de cet objet. C’est l’idée que rend le pluriel yisi kʋ-ɖʋm-sɩ ‘les mêmes/seules calebasses’.
A ce stade, j’espère avoir suffisamment éveillél’attention du lecteur sur la vision erronée que la grammaire classique puis la linguistique générale colportent depuis des millénaires sur le soi-disant singulier des noms. Je n’ai pas entrepris cette réflexion seulement pour satisfaire une curiosité de scientifique. L’hypothèse d’un singulier opposé à un pluriel a cru trouver sa preuve la plus palpable dans les affixes des langues à genres Niger-Congo. Ce faisant, elle y a induit un monstre linguistique : alors qu’on cherche ailleurs en vain la forme du singulier, les langues africaines, elles, seraient en mesure d’en fournir, même en série.
Je rappelle qu’une langue à genres est une langue qui répartit son lexique de noms en groupes à partir de propriétés jugées frappantes par ses locuteurs. Il peut ainsi y avoir des noms regroupés autour de la propriété « sexe femelle », d’autres autour des propriétés « animé » ou « humain », etc. La propriété regroupante reçoit un nom qui devient un affixe pour chaque nom du groupe. Pour être une langue à genres il faut au moins deux groupes de noms, donc plus d’une propriété. Le français par exemple a deux genres dont les propriétés sont le « masculin » et le « féminin » ; le latin en a trois dont les propriétés respectives sont le « masculin », le « féminin » et le « neutre » ; le tem en a cinq, avec comme propriétés l’« humain », le « non-comptable », le « dérivé », le « petit » et le « neutre ». Soit x la propriété regroupante et soit x1, x3, x4 et x5 les propriétés respectives « humain », « dérivé », « petit » et « neutre » des genres du tem. Ces propriétés étant celles des genres comptables comment se construit la forme de pluriel à partir {Radical+x} ? Il y a deux possibilités : la première consiste à procurer à chaque nom comptable {Radical+x}, quel que soit son genre, un marqueur unique de pluriel, appelons-le y ; ainsi, {Radical+x} aurait pour pluriel {Radical+x+y} ; en d’autres termes, pour le tem, on aurait respectivement, {Radical+x1+y}, {Radical+x3+y}, {Radical+x4+y} et {Radical+x5+y} ; la seconde possibilité consiste à procurer à chaque genre un marqueur spécifique de pluriel ; ainsi le marqueur de pluriel serait y1 pour le genre à propriété x1, y3 pour le genre à propriété x3, ainsi de suite ; Mais ce marqueur y n’est pas additionnel, il est substitutif. Il prend la place de x ; ainsi, les formes de pluriel qui en résulteraient seraient, pour le tem, {Radical+y1}, {Radical+y3}, {Radical+y4} et {Radical+y5} pour, respectivement {Radical+x1}, {Radical+x3}, {Radical+x4} et {Radical+x5}. Les deux possibilités sont exploitées par les langues indoeuropéennes à genres : la première, l’additionnelle, par l’espagnol entre autres, la seconde, la substitutive, par le latin entre autres. Le tem, à l'instar du latin, a choisi la deuxième possibilité, aussi peut-on désigner les quatre genres comptables par les formules suivantes {x1 (y1)} pour « humain », {x3 (y3)} pour « dérivé », {x4 (y4)} pour « petit », {x5 (y5)} pour « neutre », formules où x représente le genre et, mis entre parenthèses, son marqueur de pluriel. Le procédé est le même pour les autres langues à genres Niger-Congo, la différence se situant sur la préfixation des marqueurs pour les unes et leur suffixation pour les autres.
Pour des raisons qui leur sont propres, les premiers descripteurs des langues à genres Niger-Congo ont vu dans les x et y de simples affixes classificateurs et ont baptisé ces langues des « langues à classes ». La génération de descripteurs qui a suivi s’étant rendu compte que le fonctionnement des « classes » avec leurs schèmes d’accord avaient quelque chose qui les rapprochait des langues à genres sexuels, a adopté le terme de genre, sans abandonner pour autant la notion de « classe ». Elle a estimé que les affixes x étaient des marques de singulier et les y les marques de pluriel. Comme les couples x/y appartiennent aux mêmes radicaux, le groupe x/y méritait d’être appelé « genre », mais il s’agissait d’un genre qui ne repose que sur un couple d’affixes, affixes qui, selon la génération, n’avait d’autre valeur que la valeur de nombre. Les acteurs de cette génération prenaient ainsi le risque de reposer la différence entre les genres x/y sur la seule forme des affixes prenant ainsi la lourde responsabilité de créer un problème insoluble, à savoir qu’une langue (peut-être parce qu’elle serait africaine) pouvait avoir besoin de beaucoup de marqueurs pour la seule valeur d’un singulier pour lequel, ailleurs l'on recourt à des contorsions théoriques pour lui trouver une forme. Rejetant l’argument jugé fallacieux de non-homogénéité sémantique des « classes » soutenu par la deuxième génération pour refuser une sémantisation de son « genre », une troisième génération, dont j’avoue avoir appartenu un moment, a décidé de donner une base sémantique au genre africain en se fondant sur le lexique et la dérivation, sans rejeter pour autant la notion erronée de « classe » parce que, elle aussi croyait que les affixes x et y n’étaient rien d’autre que de simples marqueurs de nombre.
La vérité est que l’affixe x n’a qu’un rôle, celui de représenter la propriété commune à un groupe de noms, que l’affixe y, quant à lui, en a deux, celui d’indiquer que le nom est au pluriel et celui d’indiquer le genre auquel ce nom appartient. S’il s’agit de noms regroupés autour de la propriété « humain », x1 par lequel cette propriété est extériorisée, n’a d’autre valeur à exprimer que « humain », sans aucune référence au « singulier ». En se substituant à l’affixe x1, l’affixe y1 indique le pluriel et, grâce à sa forme spécifique au groupe, le genre tel que l’aurait exprimé x1 si la marque de pluriel était concaténée (première possibilité, celle de l’espagnol, envisagée plus haut). Dans les langues Niger-Congo il y a donc des genres, et non « classes » et, surtout, il y a des affixes de genre (les x) mais non de singulier. L’affixe x dans lequel l’on a cru découvrir enfin la matérialisation formelle du singulier est celui-là qui infirme l’existence de ce singulier. L’on voit bien par les résultats obtenus et qui font avancer la linguistique générale que revendiquer le terme de genre pour les langues Niger-Congo aux dépens du concept de « classe » n’a rien de chauvin mais, bien au contraire, vise à libérer l’esprit scientifique de préjugés qui empêchent ses ailes de se déployer en toute liberté. Grâce à cette libération, le singulier vient de trouver sa tombe dans l’affixe africain qu’il prenait pour de l’humus.

jeudi 19 novembre 2009

Profil de la langue Tem

Profil de la langue Tem créé au cours d'un Atelier de formation au logiciel TypeCraft à l'Universite de Legon à Accra, Ghana du 16 au 19 novembre 2009.

mardi 10 novembre 2009

28 proverbes tem recueillis en 1970 à Kadambara, Togo

1
Cɛnɩŋa baa kalawa na ketereniika.
Le lépreux n’a que faire d’une bague.
La lèpre est une maladie qui ronge les doigts.

2
A cɔɔ ta sa cɛnɩŋa, ka dan zam alikisanɩ
Si la mouche ne parvient pas à se satisfaire auprès du lépreux, elle n’y parviendra pas chez le boucher.
Les plaies du lépreux sont si purulentes que la mouche peut se passer de viande du boucher.

3
Ɖugoogoore tan dʋlʋ taarɛ tɔnɖɛ
Un cri ne perce pas la peau d’une antilope.
Il ne faut pas se contenter de parler, il faut agir.

4
Ba zʋwaana nya nɛ, nyaa sɩ sɩ Caavaadɩ cɔɔ bolini
Comme on te porte, tu ne te rends pas compte que Tchavadé est loin
Tchavadé est un village tem à quelques encablures de Sokodé le chef-lieu du royaume.

5
Woriya ndʋʋ waa na ɖɛɛdɛlɛsɩɖɛ nɛ, sɩ sɩ bɔ kɔna yɩ ɩwɛɛlɛɛ biya
Bénéficiaire d’un accueil généreux, le bossu demande qu’on lui fasse venir ses petits-enfants.
Le mendiant (ici un bossu) est toujours tenté d’abuser de la générosité de ses bienfaiteurs.

6
A kadaadɩya na kodoovonum na ben ɖeezi sɔkɔrɔ sɩ sɩ kʋvʋlʋmɩnɩ nɖɔɔ !
Il ne faut pas donner tort à la pâte de mil parce qu’elle est noire ni donner raison à la pâte d’igname parce qu’elle est blanche.
La justice doit être égale pour tous.

7
Fɔɔ tan nyasɩ ko bu bɩ tala mʋʋrɛ
Le chien ne mord pas son petit jusqu’à l’os.
On est moins sévère envers les siens.

8
Kutoluu tɛn yɛɛna adɛ baana
Les fesses n’ont pas intérêt à se fâcher contre le sol.
Il faut savoir pardonner quand il y a des intérêts à sauvegarder.

9
Ʋgɔm tɛn zɛlɩ ɩsɩɖʋ na nʋvɔ njɔ
Ce nest pa à l’étranger de saisir le mort par les pieds.
On conduit le mort vers sa tombe les pieds devant. L’étranger qui ignore où se trouve le cimetière n’a pas à le prendre du côté des pieds.

10
Abɔnɩ njɔ bu tan zɩm nyɔɔsɩ
Auprès d’une vielle, un enfant ne meurt jamais de faim.
Les grands-mères son sensées gâter les enfants. On ne meurt pas de soif près d’une source.

11
A suu wɛ, na bɔ tɔɔ kelimbiree
S’il y a de la pintade, pourquoi manger du poulet ?
On vise toujours ce qui est meilleur.

12
Bú tan mʋzʋ ɩ jaa labaawʋ bɩ ka ʋ gɔɔ wɛ
Tant que sa mère vit, le nourrisson ne sera pas contraint de téter la bourse de son père.
La nécessité peut vous conduire à accepter ce que vous jugez détestable en temps ordinaire.

13
Bɛ rɛŋɛna maarɩ wuro ndɛɛ na nyan gbaarɩnaa kɔlɔŋaaa
Pourquoi se gêner à contempler par-dessus le mur un léopard qui va se produire en spectacle sur la place publique ?
Il faut savoir être patient.

14
A simka waa yaa tɛɛwʋ, ka gʋjʋʋ ndaa gɛ bɩn dɛm
L’oiseau qui se plaît à faire venir la pluie l’aura sur sa tête.
On récolte ce qu’on a semé.

15
Buwa wenka ko zumaa nɛ, kan gbɔwʋ kʋ ʋrʋ
C’est quand une rivière est calme qu’elle peut être dangereuse pour l’homme.
L’habit ne fait pas le moine.

16
A ʋrʋ wen zewɔɔ falalaawʋ ndaa, a bɩ dɛ kɛɛ bɔn ɖɔwʋ yɩ, wɔn ɖɔwʋ gɛ
Quand quelqu’un court dans le chiendent, il est ou poursuivi, ou poursuivant.
Pour entreprendre une action pénible, il faut soit y être contraint, soit y trouver un intérêt particulier.

17
Faala cɔwʋ gɛ fɩnɖɛ nuudi
C’est l’oisiveté qui amène l’homme à se caresser le sexe.
L’oisiveté expose à des futilités

18
Cangbɔɔ ndɛlɛ mɔɔna kɔ nɔɔ
La paume du margouillat est proportionnelle à sa bouche.
On fait la politique de ses moyens.

19
Kelimbire wɛn bɛɛ nyɛ bɛɛŋɩ gɛ na ɖɩ lɛɛ waamɩlɛ nyɛ ndɛ
Le poulet arrache un maïs de tes mains quand il te juge incapable de le rattraper.
On ne s’attaque qu’au plus faible.

20
Kɔjɔɔrɩya ɖii tan nɩɩ sɩnɖaazɩ
Manger ensemble chez l’un et l’autre des convives à tour de rôle ne fatigue pas les côtes.
Mettre les moyens ensemble est profitable à chacun.

21
N ɖɔɔndɩ baarɛ tan maazɩ
La danse du voisin ne s’imite pas.
L’imitation ne vaut pas l’originale.

22
Aa zɛɛ nɛ a da lɩɩ num, halɩ atenka
Si les noix mûres sont pauvres en huile, avec les vertes cela ne peut qu’être pire.
Ce n’est pas là où les bons échouent que les mauvais réussiront.

23
Ba vɩnɛ leelee nɛ ba da na wɩlasɩ halɩ bo voo bo loodi nɖɔ nɛ
Si ceux qui sont couchés sur le dos n’ont pas pu voir les étoiles, ceux qui sont couchés sur le ventre ne pourront faire mieux.
Un amateur ne peut pas faire mieux qu’un spécialiste.

24
Kɔzɔŋa ten zee na ka lʋrʋ gaalangaalɔɔ
Un habile coureur comme le lièvre ne peut pas faire des petits paralytiques.
Chacun hérite des défauts et des qualités de ses parents.

25
Ban jɩɩdɩ sɩ sɩ guuni waa zɩ, guuni ta lʋrʋ yaa
On se réjouit de la mort du lion ; le lion n’a-t-il pas enfanté ?
On ne met pas fin à un mauvais système en se séparant de l’individu qui le pratique.

26
Biya ɖɔɔndɩ gɛ agala ŋmanɖʋ
L’agent chargé de saisir les galettes frauduleuses sur le marché est l’ami des enfants.
Les galettes saisies sont généralement offertes aux enfants.

27
A ben zewɔɔ fɔɔ, ka nyɩ sɩ ka gala rɔɔzɩ gɛ
Quand on craint un chien il croit que c’est à cause de ses crocs.
Le chien ignore qu’il bénéficie du respect qu’on a pour son maître.

28
A nyee ɖiizi njɛm mʋtʋ, nyan lɩɩna kʋ yɩ ɖaawɔrɔ
Si tu fais manger l’aveugle il te demandera de le conduire aux wc.
L’homme a tendance à abuser de la générosité de celui qui lui porte secours.

samedi 31 octobre 2009

Les langues africaines auraient-elles donc des genres ?


Il y a un terme qui aurait dû disparaître de nos mémoires d'écolier mais qui a retrouvé une seconde vie dans le langage spécialisé des experts en développement. Il n'y a pas un projet de développement, de promotion des droits humains qui, pour être crédible et finançable, ne prend en compte la question « genre ». Le « genre » des experts renvoie au seul genre féminin, c'est-à-dire à la femme. Les langues indoeuropéennes auxquelles est emprunté ce mot connaissent trois genres : le genre masculin, le genre féminin et le genre neutre. Certaines d'entre elles comme le français, se limitent à deux, le masculin et le féminin. Les langues négro-africaines connaissent-elles les genres, si oui, s'agit-il des genres sexués ?

Dans le monde, les langues sont regroupées en familles avec l'idée que les langues d'une même famille sont issues d'une même langue dite protolangue. Ainsi, la famille indoeuropéenne qui comprend les langues romanes, anglo-saxonnes, slaves, hindoues, iraniennes, etc. sont considérées comme issue d'une protolangue dite « indoeuropéen ». Les langues africaines sont, elles, réparties en quatre familles : la famille Khoisan dont le hottentot (Afrique du Sud, Namibie), la famille Nilo-saharienne dont le songhaï (Mali, Niger) et le sara (Tchad), la famille Afro-asiatique dont le hausa (Afrique de l'ouest) et la famille la plus étendue, le Niger-Congo, qui comprend la plupart des langues des pays arrosés par le Sénégal, le Niger, le Congo, le Zambèze. Dans la famille Afro-asiatique, une langue comme le hausa a des genres, basés sur le sexe comme ceux de l'indoeuropéen. Mais dans le Niger-Congo où les genres sont connus et très répandus, la discrimination de ceux-ci n'est pas à base sexuelle. Il n'y a donc pas de genres que sexuels. Pour comprendre la différenciation des propriétés des genres et le fait que toutes les langues ne sont pas à genre, il faut savoir ce qui décide une langue à répartir son lexique des noms en genres.

Soit deux langues A et B et leurs lexiques de noms respectifs. Les deux langues nomment les même réalités, mais avec des mots différents. Là où l'une dit horse, l'autre dit cheval pour le même animal. Les objets désignés par les deux lexiques peuvent être regroupés de la même façon par les communautés locutrices des deux langues : le groupe des animaux, celui des végétaux, le groupe des objets qui peuvent être comptés, celui des objets non comptables, le groupe des êtres sexués mâles, celui des êtres sexués femelles, etc. Alors que rien ne l'y oblige, la communauté de langue A peut décider de traduire dans les noms ce qui n'était, jusque là, que conceptuel. Ainsi, à chacun des noms d'un groupe on décidera d'apposer un affixe x1 (préfixe s'il précède le nom, suffixe s'il lui succède). Aux noms d'un autre groupe, ce sera l'affixe x2, et ainsi de suite jusqu'à épuisement des groupes retenus. Ainsi, au nom espagnol <muchach>, on apposera le suffixe <a> pour désigner une fille, muchacha (genre féminin) ou le suffixe <o> pour désigner un garçon, muchacho (genre masculin). Dans le même temps, la communauté de la langue B, bien que différenciant conceptuellement le féminin du masculin, ne procède à aucune modification de forme sur les noms du lexique de sa langue. Voilà pourquoi il peut y avoir (et il y en a effectivement) des langues à genres et des langues sans genres.

Mais une langue sans genres n'est pas forcément (et seulement) une langue dont la communauté s'est refusé une répartition du lexique des noms. Ce peut être une langue qui, au départ avait des genres, mais qui, avec le temps les a perdus. Parce que le système des genres qui repose sur une certaine vision que la communauté a du monde peut évoluer avec celle-ci. Voici par exemple le français avec deux genres, le féminin et le masculin, alors que le latin dont il est issu en avait trois, le féminin, le masculin et le neutre. L'évolution du système peut même aboutir à son extinction. Des langues comme le yoruba, le baoulé, le manding, l'éwé, qui sont pourtant des langues Niger-Congo, donc issues d'une protolangue distinguant des genres, n'en ont plus. Elles n'en ont gardé que des traces. En revanche la plupart des langues Bantu (swahili, zulu, etc.), des langues Gur (mooré, sénoufo, tem, etc.), des langues Ouest-atlantiques (peulh, wolof, etc.) ont encore des genres. Parmi les systèmes conservateurs de ces langues Niger-Congo à genres il y a le système tem.

Le tem, langue Gur, branche Gurunsi, parlée au Togo, compte cinq genres. Pour simplifier la présentation je vais représenter les affixes de genre par des x et les marqueurs de pluriel qui leur correspondent par des y. La langue compte quatre genres d'êtres comptables. Leurs affixes respectifs sont x1, x2, x3 et x4. A x1 correspond le marqueur de pluriel y1, à x2 le marqueur de pluriel y2, à x3 le marqueur y3 et à x4 le marqueur y4. Le cinquième genre représente des objets dense dont certains comme les céréales sont en principe comptables mais sont tellement dense qu'en pratique on ne peut les compter. Pour exprimer cette pluralité incomptable ce genre a choisi un affixe qui a la forme des marqueurs de pluriel, donc y5. On peut donc représenter les cinq genres du tem comme suit : genre x1 à pluriel y1, genre x2 à pluriel y2, genre x3 à pluriel y3, genre x4 à pluriel y4 et genre y5, soit encore, respectivement (x/y)1, (x/y)2, (x/y)3, (x/y)4 et y5. Le genre (x/y)1 est le genre des humains et assimilés. Le genre (x/y)2 est celui des dérivés ; ici dérivé désigne tout objet qui ne peut exister sans l'existence préalable d'un autre : un fruit n'existe pas sans son arbre, une palme n'existe pas sans son palmier, une dent sans la gencive, etc. Le genre (x/y)3 est le genre des objets plus petits que leur taille normale : un petit tabouret pour enfant, un petit d'homme ou d'animal, etc. Le genre y5 est celui des objets non comptables, matériels (farine, liquide) ou abstraits (joie, bravoure). Enfin, le genre (x/y)4 est le genre fourretout, celui qui recueille tout objet qui n'a pas pu entrer dans les critères des autres genres ; il récupère ainsi les êtres plus grands que nature (arbres, broussailles, montagnes), les emprunts qui sont, par définition, dépourvus d'affixes, etc.

Le genre ne se manifeste pas seulement au niveau du nom sous la forme de l'affixe nominal, il se manifeste aussi dans l'accord du nom avec ses adjectifs. En tem, l'adjectif qualificatif prend le même affixe que le nom qu'il qualifie, l'adjectif numéral, de « deux » à « cinq » prend aussi le marqueur de pluriel du nom qu'il quantifie. Il en est de même des démonstratifs et des adjectifs indéfinis. Mais le cœur de l'expression du genre est dans le pronom qui se substitue au nom du contexte gauche pour éviter la répétition. Ce pronom est littéralement le x ou le y accolé au nom. Si par exemple le nom qui désigne une mouche a pour affixe x3, le pronom qui remplace ce nom sera x3. On imagine le nombre de schèmes d'accord qu'il faut posséder par cœur pour parler le tem, en tout neuf schèmes d'accord : humain singulier, humain pluriel, dérivé singulier, dérivé pluriel, petit singulier, petit pluriel, neutre singulier, neutre pluriel et dense. Comparez cela aux pauvres quatre schèmes d'accord du français : masculin singulier, masculin pluriel, féminin singulier et féminin pluriel.

Le système des genres du tem est un modèle parmi d'autres. Il y en qui sont plus riches comme le sénoufo qui a six genres. Tout en maintenant les affixes pour les noms, le koulango et le lobiri, autres langues Gur (Côte d'Ivoire, Burkina) ont, quant à eux réduit ces nombreux genres à deux : le genre des êtres animés et celui des êtres inanimés, donnant lieu à quatre schèmes d'accord. Le mooré a, lui, abandonné tout ce qui est accord avec les adjectifs et les pronoms. Dans cette langue, quel que soit l'affixe qui marque le nom, on ne le retrouve ni dans l'adjectif ni dans le pronom.

Dans la plupart des langues Niger-Congo à système de genres actif, il existe certaines constantes. Le genre des êtres humains présente pratiquement les mêmes affixes, particulièrement l'affixe ba du pluriel qui peut être wa, be, etc. Un autre genre qui revient toujours est le genre des êtres particulièrement petits qui a pour affixe ka/wa/nga. Enfin, troisième genre constant, celui des objets denses qui a pour affixe bu/mu/m.

On a rarement constaté une langue qui génère des genres alors que la protolangue dont elle est issue n'en avait pas. Ce qui est plus courant est la tendance à la réduction des genres, surtout qu'à des siècles de distance, la vision du monde qui sous-tend les genres a complètement changé. Les communautés les plus dynamiques ont tendance à alléger les schèmes d'accord ou même à les supprimer. Mais les communautés les plus conservatrices qui maintiennent encore l'essentiel de cette création de nos lointains ancêtres nous ouvrent un grand livre sur notre histoire. Or, précisément les affixes ba et ka nous parlent d'Egypte. On y reviendra certainement.


mardi 20 octobre 2009

Le Soleil, notre Dieu Unique et Céleste à tous

Bien avant l'apparition des religions révélées (le judaïsme, le christianisme, l'islam) les peuples noirs africains, à la différence des autres peuples, n'étaient pas paganistes. Ils ne croyaient pas en plusieurs dieux. Ils croyaient en un dieu unique qui vit au ciel, et aux ancêtres qui, eux, vivent sous terre. Ces attributs unique et céleste justifient l'adoption des noms africains de dieu par les religions révélées. Jéovah et Allah sont indifféremment nommés Mawu, Esso, Nyamien, Lago, etc. dans les églises, temples et mosquées d'Afrique noire.
Alors, question : qu'est-ce qui a bien pu suggérer aux Négro-Africains l'idée d'un dieu unique et céleste avant les réligions du Livre? Pour y répondre, suivons ce que la lexicologie (étude du vocabulaire) du Tem, langue Gur, et ses proches parentes nous apprennent à propos de soleil.
Dans cette langue du Centre du Togo, les mots montrer, sécher, soleil et étoile ont la même racine, wil. Le rapport entre soleil et sécher est évident. Celui entre soleil et montrer l'est moins. Toutefois le rapprochement des deux mots avec étoile peut lever un coin du voile. En effet, il existe un point commun entre montrer (guider, orienter) et les deux astres. En mer et dans le désert, les seuls guides pour qui se déplace d'un point A à un point B sont le soleil le jour et les étoiles la nuit. Pour le marin et l'homme du désert, le soleil et les étoiles sont des sortes de skyguides.
Si la langue des Tem qui vivent aujourd'hui dans une zone forestière devenue savane à cause des pratiques culturales voit dans le soleil et les étoiles des guides, ce n'est pas par rapport l'environnement actuel, mais par rapport à un environnement antérieur qui a dû être un désert. Le peuple du désert auquel fait allusion la langue tem n'est assûrément pas le peuple tem actuel. Celui-ci ne peut être qu'une portion d'un peuple plus ancien dispersé par groupes, dont le groupe tem ou, plus vraisemblement une portion de groupe. L'hypothèse pourrait être justifiée si les peuples Gur parents, autres groupes ou portions de groupes de l'ancien peuple du désert, ont, eux aussi, la même racine pour désigner le verbe montrer et/ou le nom soleil. Parmi ces peuples parents il y a les Kabiyè du Togo, les Sissala et les Mossi du Burkina Faso. La langue kabiyè a le même mot que le tem pour désigner le soleil. Le sissala et le mooré (langue des Mossi) ont la racine win pour soleil. Les linguistes savent que souvent les consonnes l et n sont des variantes. Donc win et wil sont des variantes d'une même racine. Mieux, dans les langues du Burkina, soleil et dieu ont le même nom. Chez les Tem, dieu se dit Esso; c'est la même désignation en kabiyè mais ici Esso désigne aussi le soleil, parce que quand l'éclipse met aux prises le soleil et la lune, en kabiyè on parle plutôt de dieu (Esso) et de lune. Ainsi donc soleil et dieu sont une seule et même réalité.
L'évocaltion d'une vie antérieure dans le désert et l'association de soleil et dieu nous renvoient indubitablement à l'Egypte. La question n'est pas de savoir si cette Egypte antique était noire ou blanche, les mots envisagés ici disent simplement que les ancêtres des Gur actuels y ont vécu et y ont adoré un dieu unique et céleste symbolisé par le soleil. On peut même situer la période de ce séjour. Jusqu'à Akhénaton le panthéon égyptien était pluriel, un panthéon ayant à sa tête, il est vrai, le dieu Amon Râ , associé au soleil. Mais avec Akhénaton est intervenue l'unicité de dieu. Aton, le dieu d'Akhénaton n'était rien d'autre que le soleil. Avant de quitter l'Egypte, les ancêtres des Gurs actuels ont connu la période d'Akhénaton. Il semble qu'ils n'aient pas connu celle de Ramsès le Grand qui a restauré le panthéon pluriel et tenté de gommer de la mémoire de l'Empire le Pharaon hérétique et son unique Aton. Mais les Gurs ne sont pas les seuls héritiers d'Akhénaton parmi les peuples négro-africains. Comme je l'ai dit tantôt il n'y a pas une langue africaine qui n'ait un nom de dieu et un peuple qui ne croit en un dieu unique et céleste. Quand on sait que Moïse est comtemporain de Ramsès II et donc postérieur à l'apparition de la notion d'un dieu unique et céleste, on est tenté de penser que le dieu unique et céleste des trois Livres révélés est l'héritage d'Akhénaton et qu'en matière d'héritage du Pharaon, les ancêtres des peuples négro-fricains ont dû devancer les gens du Livre. Le dieu des Négro-Africains porte différents noms mais sous ces noms se trouve le même Etre unique et céleste, Aton ou le Soleil.