dimanche 21 avril 2013

La terre vient du soleil, le soleil vient des étoiles, à en croire la langue tem. Démonstration

Parmi les noms communs qui ont un pluriel, il y en a qui, en plus de la forme de pluriel, ont une forme de dense. Le dense est un pluriel mais un pluriel non-comptable. L’objet désigné est si dense qu’il est impossible de le quantifier en unités individuelles. Le nom à pluriel dense présente donc trois formes : la forme de départ qui est la forme dite générique, la forme de pluriel (comptable) et la forme de dense. Les trois formes ont le même radical. Le tem étant une langue à genres, la forme générique associe un suffixe au radical. Ce suffixe indique le genre auquel appartient le nom. Au pluriel un suffixe de pluriel spécifique à ce genre vient se substituer au suffixe de genre. Le pluriel et le dense ont le même suffixe, mais l’association au radical peut donner des réalisations de surface différentes.

Schématisons avec Rad pour radical, x pour affixe de genre (et comme le tem compte quatre genres, on aura x1 pour le premier genre, x2, x3 et x4 pour les autres) et y pour le marqueur de pluriel (comme le y est spécifique à chaque genre, on aura y(x1) différent de y(x2), y(x3) et y (x4), eux-mêmes différents entre eux). Selon le genre des noms on aura :

Pour le genre 1

  • Forme 1 : Rad-x1
  • Forme 2 : Rad-y(x1)
  • Forme 3 : Rad-y(x1)

Pour le genre 2

  • Forme 1 : Rad-x2
  • Forme 2 : Rad-y(x2)
  • Forme 3 : Rad-y(x2)

Pour le genre 3

  • Forme 1 : Rad-x3
  • Forme 2 : Rad-y(x3)
  • Forme 3 : Rad-y(x3)

Pour le genre 4

  • Forme 1 : Rad-x4
  • Forme 2 : Rad-y(x4)
  • Forme 3 : Rad-y(x4)

Dans les exemples qui suivent, la forme 1/ est la forme générique, la forme 2/ est la forme de pluriel et la forme 3/ la forme de dense ; les parenthèses renferment la structure de base de la forme :

A/ Genre neutre

  • 1/ nʋnbɔɔwʋ (nʋ-bɔ-k) nez
  • 2/ nʋnbɔɔnɩ (nʋ-bɔ-t) nez, pl.
  • 3/ nʋnbɔɔnɩ (nʋ-bɔ-t) morve

B/ Genre neutre

  • 1/ sʋlʋʋ (sʋl-k) arbre de néré
  • 2/ sʋlɩnɩ (sʋl-t) arbres de néré
  • 3/ sʋlɩnɩ (sʋl-t) farine jaune sucrée du néré)

C/ Genre dérivé

  • 1/ mɩlɛ (mɩl-ɖɛ) tige de sorgho
  • 2/ mɩla (mɩl-a) tiges de sorgho
  • 3/ mɩla (mɩl-a) grains de sorgho

Dans les trois modèles de nom à pluriel et à dense à la fois ci-dessus on note que le nom dense (liquide, poudreux ou granuleux) désigne toujours un sous-produit de l’objet désigné par la forme générique. Avec le quatrième modèle qui suit :

D/ Genre menu

  • 1/ wɩlɔɔ (wɩl-ka) étoile
  • 2/ wɩlasɩ (wɩl-s) étoiles
  • 3/ wɩsɩ (wɩl-s) soleil

on tire la conclusion que le soleil est un sous-produit de l’étoile : il est généré soit à partir d’une étoile, soit comme un amas d’étoiles. Quel que soit le procédé par lequel le soleil est né de l’étoile, il est un fait qu’une relation est établie entre l’étoile et le soleil.

Il est vrai que le radical de l’exemple D/, wɩl, vient du verbe wɩlɩɩ (wɩl-ɩ) ‘montrer, guider, enseigner’. Pour l’homme du désert que devait être le lointain ancêtre des Tem, le soleil est le guide du jour tandis que l’étoile est le guide de la nuit. On pourrait penser que là se trouve la raison du lien établi par la langue entre l’étoile et le soleil.

A en juger par la différence de taille entre le soleil et l’étoile, la logique aurait voulu que l’ancêtre vît dans les étoiles des sous-produits du soleil. La tradition tem elle-même le pense puisqu’elle qu’elle fait croire aux enfants, lors des soirées récréatives, que les étoiles sont des enfants qui ne sortent pour jouer que quand ils ont eu assez à dîner. De plus, du mot wɩsɩ ‘soleil’, la langue a bien pu fabriquer un dérivé, wɩrɛ (wɩ-ɖɛ) ‘jour’ (pl. (wɩ-a)) ‘jours’. Il aurait donc été plus logique de dériver l’étoile du soleil plutôt que l’inverse. En conclusion le fait que le soleil et l’étoile soient des guides du ciel ne suffit pas pour nier toute autre source de lien de cause à effet entre les deux astres.

En tant que dérivé d’un radical verbal, le mot wɩsɩ est un qualificatif. Il qualifie le soleil par le rôle qu’il joue pour le nomade. Même s’il a gagné en popularité au point qu’aujourd’hui l’on n’utilise que lui pour désigner le soleil, il n’est pas le nom originel de l’astre. La langue ne dispose-t-elle pas d’un autre nom, le nom originel ?

Le cinquième modèle de nom à pluriel et à dense que voici peut nous servir de guide de découverte :

E/ Genre neutre

  • 1/ tɛɛwʋ (tɛ-k) pluie
  • 2/ tɛɛnɩ (tɛ-t) pluies
  • 3/ tɛɛdɩ (tɛ-t) terre

En apparence, et malgré l’évidence de la parenté morphologique, il n’existe pas de lien sémantique entre la pluie et la terre, du genre la terre, sous-produit de la pluie. Mais examinons les différents emplois du mot tɛɛwʋ:

  • a/ tɛɛwʋ waa nɩɩ il a plu
  • b/ tɛɛwʋ wee dili le tonnerre a grondé
  • c/ tɛɛwʋ wee ve il fait jour (mot à mot tɛɛwʋ s’est réveillé)

On peut, dans le cas de c/, remplacer tɛɛwʋ par son pronom (), ce qui donne :

  • d/ kii ve il fait jour

L’expression d/ appartient à un paradigme d’expressions qui indiquent les différentes étapes de la journée. Voici le paradigme :

  • d/ kii ve il fait jour
  • e/ kɩɩ ɖaanɩ il fait soir
  • f/ kuu yu il fait nuit
  • g/ kii liri il fait nuit profonde

Le pronom des expressions e/, f/ et g/ est le même que celui de l’expression d/. Il se rapporte donc au mot tɛɛwʋ. La forme générique tɛɛwʋ ne désigne donc pas que la pluie. Quand on observe le sens des verbes dont le nom tɛɛwʋ (dans le sens de pluie) est sujet, on se rend compte qu’il n’y a aucune logique apparente entre le sujet/agent qu’exige le verbe et le sujet réelle, tɛɛwʋ ‘pluie’.

En effet, dans l’expression a/ le verbe nɩɩ signifie entendre. Une pluie n’entend pas. Même si elle était personnifiée ou déifiée, en quoi le fait de tomber équivaudrait au fait d’entendre ? L’on a plutôt avantage, pour établir une logique entre l’agent et le verbe, à voir dans tɛɛwʋ la désignation d’un être capable d’entendre les suppliques des hommes en manque d’eau. Un conte tem ne dit-il pas qu’au cours d’une interminable sécheresse qui avait commencé à décimer les animaux, ceux-ci avaient envoyé dans les cieux une hirondelle pour y porter leurs doléances ? Cela suppose que dans les cieux réside un être pouvant « entendre » et prendre en charge les doléances des terriens.

D’un autre côté, dans l’expression b/, le verbe tilii ‘faire trembler’ s’utilise aussi pour exprimer un tremblement de terre : adɛ wee dili ‘la terre a tremblé’. Ce sont d’ailleurs les deux seuls cas où le verbe tilii est employé. Manifestement ce n’est pas la pluie qui ‘fait trembler’. Ici encore, la logique voudrait que l’agent soit un être doté de la capacité d’agir.

Qui est donc cet Etre supérieur susceptible d’« entendre » les suppliques des terriens et de leur donner l’eau qui leur manque ? Qui est cet Etre capable de faire trembler les cieux ? La supplique chantée par l’hirondelle envoyée en ambassade dans les cieux identifie l’Etre :

Ʋsɔɔ yɔɔ, nyan lam we ?
Tuuni wan gazɩm
Naanɩ wan gazɩm.

Soit en français:

Dieu mignon, à quoi joues-tu ?
Là-bas, les éléphants sont en train de mourir.
Là-bas, les buffles sont en train de mourir.

Chez les Tem, Ʋsɔɔ est la divinité créatrice du monde et de la terre. Il est unique dans sa grandeur et dans ses responsabilités envers les êtres vivants. Il est céleste. Dans le tout premier article du présent blog, j’ai montré que Ʋsɔɔ est le nom propre donné à Soleil en tant que dieu. On en déduit que tɛɛwʋ est le nom commun qui désigne l’astre.

L’expression c/ (tɛɛwʋ wee ve) montre que Ʋsɔɔ est à l’image des êtres vivants terriens ; quand il ferme les yeux pour dormir, c’est la nuit ; quand il ouvre les yeux au réveil, c’est le jour.

Le soleil a donc trois noms : Ʋsɔɔ son nom propre, wɩsɩ son nom de qualification et tɛɛwʋ son nom commun.

Le nom commun tɛɛwʋ est le terme générique duquel sont sortis tɛɛnɩ ‘pluies’ et tɛɛdɩ ‘terre’. Le dense tɛɛdɩ ‘la terre’ est donc le sous-produit de tɛɛwʋ ‘le soleil’.

Telle est le processus de génération du monde tel que vu par le tem : la terre est née du soleil et le soleil est né de l’étoile. Ce mélange du vrai scientifique et de la mythologie rappelle la science de l’Egypte antique.

Ce savoir n’est, évidemment, pas propre à la langue tem, une langue gur du Togo. Elle le partage avec les langues parentes, même si celles qui seraient muette sur la question. Il reste à découvrir le degré de parenté auquel remonte ce savoir, dans la généalogie du Niger-Congo.

jeudi 3 janvier 2013

Initiation à la grammaire tem. Chapitre 3 : Le nom. Leçon 11 : Le syntagme de localisation

Dans l’impossibilité de combiner tous les symboles vocaliques avec l’accent aigu, je ne note pas l’accent sauf quand il est indispensable au raisonnement et que c’est possible au plan graphique. Il en est de même du tilde.

La femme est l’avenir de l’homme, a dit le poète. Dans ce vers célèbre d’un poème de Louis Aragon chanté par Jean Ferrat, les substantifs femme et homme ont un sens générique c’est-à-dire indéterminé. Le langage n’est pas fait que de poésie et de noms à sens indéterminé. Quand un nom intervient dans la conversation il y est, le plus souvent, avec un sens déterminé. Dans les expressions courantes telles que « la femme du voisin » ou « l’homme que tu vois » les noms femme et homme sont utilisés avec un sens déterminé. Ils donnent à voir, chacun, un individu particulier et non la classe générale des femmes ou des hommes. Dans le discours, le nom a très souvent besoin d’être déterminé. L’on procède de plusieurs manières pour déterminer un nom ; l’un des procédés consiste à le localiser par rapport à un autre nom ou par rapport à un adverbe de lieu ou de temps. Quand le repère est un nom, on a une structure morphosyntaxique à deux noms, à l’image du syntagme de coordination, mais à la différence de celui-ci, les deux noms de la structure n’on pas un statut égal, l’un des noms est au service de l’autre. Dans ce nouveau type de syntagme comment les deux noms en présence cohabitent-ils ? Comment s’effectue la pronominalisation, aussi bien du syntagme lui-même que de ses termes ?

1. Présentation du syntagme et de ses termes

Le syntagme de localisation est un syntagme de détermination. L’un des termes joue le rôle de déterminé (désormais DE) et l’autre celui de déterminant (désormais DT). Réunir deux noms dont l’un est DE et l’autre DT n’est pas la propriété du seul syntagme de localisation. Il faut donc donner les propriétés spécifiques de type de syntagme.

1.1. Dans un syntagme de localisation DT précède DE

Soit les noms aɖamɁ ‘Adam (nom propre de personne)’, koma ‘Komah (nom propre de village)’ et kooluu ‘forgeron’. Il est possible de construire le syntagme à deux noms suivant : <aɖamɁ kooluu> ‘Adam le forgeron’. Comme l’indique la traduction ce syntagme est un syntagme de qualification, kooluu jouant le rôle de qualifiant. Cet autre syntagme à deux noms est possible : <komaɁ kooluu> ‘le forgeron de Komah’. Ici, on a un syntagme de localisationkooluu joue le rôle de localisé. Dans les deux syntagmes kooluu conserve la même position mais il y assume des rôles différents : Dans <aɖamɁ kooluu> il est le DT tandis que dans <komaɁ kooluu> il est le DE. Quand un syntagme est fait de deux noms, la disposition <DE DT> est le propre de la qualification et la disposition <DT DE> celle de la localisation.

1.2. Dans un syntagme de localisation, les termes sont dans un rapport dissymétrique

Un syntagme à deux noms peut être un syntagme de coordination où les termes sont, au plan syntaxique, symétriques. Dans un syntagme de détermination et, particulièrement de localisation, les termes sont en rapport dissymétrique : l’un domine l’autre, plus concrètement DE domine DT ; De est la tête et DT la queue.

1.3. Le syntagme de localisation est une structure discrète

Le nom commun autochtone est une structure analysable en radical (Rad) et suffixe (Suf). Quand les deux éléments de base du nom sont présents on dit que le nom est saturé. Mais le nom autochtone peut se présenter sans suffixe ; réduit à son radical il est dit non-saturé.

Certaines structures morphosyntaxiques de type DT-DE peut avoir un DT non-saturé. Le DT non-saturé (Rad1) ne peut avoir une existence autonome ; il se colle au DE (Rad2-Suf2) et la structure DT-DE devient compacte {Rad1-Rad2-Suf2}. C’est ainsi que se présente, en tem, le nom composé à détermination locative. Le syntagme DT-DE, lui, a un DT saturé, si celui-ci est un nom autochtone. Il peut alors avoir une existence autonome au sein de la structure syntagmatique. A la différence du nom composé de type locatif qui est un DT-DE compact, le syntagme DT-DE est une structure dont les termes sont discrets : <{Rad1-Suf1} {Rad2-Suf2}>.

Il faut noter que les DT du syntagme DT-DE ne sont pas tous saturés. Il est interdit à un nom propre d’avoir un suffixe de genre. Le nom propre est une séquence sonore non-analysable et non saturée. Il arrive qu’un nom commun autochtone, donc analysable en Rad et Suf soit promu nom propre. Quand c’est le cas, il ne perd pas son Suf ; celui-ci est intégré au Rad pour former avec lui une séquence non-analysable. Le nouveau schème sonore est considéré comme non-saturé. Le nom propre de village, komaɁ est issu du nom commun komá (Rad = kom et Suf = ), pluriel de komre ‘jeune fromager’. Le nom propre non-analysable et donc non-saturé komáɁ peut être un DT discret au sein d’un syntagme de localisation autant que le nom commun, analysable et saturé komá. Le nom propre peut donc être un DT discret bien que non-saturé. Il en est de même du nom d’emprunt non-intégré. Peu de noms d’emprunt se transforment en structure analysable en intégrant un genre donné. Quand il est non-intégré, le nom d’emprunt est une structure dépourvue de suffixe de genre ; il est donc non-saturé. Mais cela ne l’empêche pas de servir de DT discret dans un syntagme DT-DE. Comme le nom propre, le nom d’emprunt non-intégré est marqué par une rupture dans la réalisation de la voyelle finale ; la rupture se manifeste par un coup de glotte (Ɂ) en fin de mot, quand il est en finale absolue. Ainsi comme komáɁ, nom propre de village, un nom d’emprunt tel que síkiríɁ ‘sucre’ est flanqué d’un coup de glotte. Il faut noter aussi que le DT du syntagme DT-DE n’est pas toujours un nom. Il peut être un adverbe, de lieu ou de temps, dont le rôle exclusif est de servir de repère locatif.

1.4. Garantie de l’autonomie du champ phonologique de DT

Le champ phonologique d’un nom est le domaine au sein duquel son radical, élément de tête de la structure hiérarchisée, exerce sa domination phonologique ; celle-ci se traduit par l’harmonie vocalique au sein du champ. Ce domaine est fait du radical, unité gouvernante, et des unités grammaticales qui gravitent autour de lui. Dans le syntagme DT-DE, chacun des termes a son champ phonologique. La pause virtuelle qui sépare les deux termes est le garant de l’autonomie de chaque champ phonologique. Le champ phonologique de DE est protégé par son statut de commandeur du syntagme.

Un des facteurs qui garantit le caractère discret de DT est la pause virtuelle entre DT et DE. Qu’adviendrait-il si, bien que DT soit discret, cette pause virtuelle venait à disparaître par la faute du DE ? En effet deux noms en situation de DE ne supportent pas la présence de cette pause. Il s’agit de -bu et de -tʋʋ qui, bien que discrets, sont des clitiques. Le nom bu signifie ‘enfant’, ‘progéniture’, ‘fruit’. Il peut occuper aussi bien le terme DE que le terme DT. Mais quand il est DE, il devient enclitique, c’est-à-dire qu’il s’accroche immédiatement à DT, d’où l’écriture -bu avec un tiret de liaison : <DT -bu> et, potentiellement, <bu -bu> ‘le petit-fils’.

Quant à -tʋ́ʋ qui signifie ‘propriétaire de’, ‘auteur de’, ‘maître de’, il est exclu des DT ; il ne peut être que DE. Il est donc toujours enclitique : <DT -tʋʋ>. Etant des DE, -bu et -tʋʋ ont, chacun, leurs champs phonologiques sains et saufs. Mais leur position d’enclitiques menace l’autonomie du champ phonologique du DT. Pour sauvegarder l’autonomie du champ de DT malgré l’enclise, la langue instaure un séparateur (Sép) de champs phonologiques sous la forme de n en lieu et place de la pause virtuelle. Grâce au séparateur des champs, les deux DE restent enclitiques et le champ phonologique de DT est sauf. Les syntagmes <DT -bu> et <DT -tʋʋ> deviennent alors, respectivement, <DT-n-bu> et <DT-n-tʋʋ>.

Exemples : avec le DT analysable mʋʋrɛ ‘os’ pour le DE enclitique -bu et le DT analysable fuduu ‘igname’ pour le DE enclitique -tʋʋ.

DTDEDTSépDE
mʋʋrɛ-bumʋʋrɛn-bumʋʋrɛnbubébé os
fuduu-tʋʋfuduun-tʋʋfuduundʋʋpropriétaire de l’igname

Quand il est une structure analysable, le DT dispose d’un champ phonologique. En dispose-t-il quand il est une structure non-analysable, c’est-à-dire un nom d’emprunt ou un nom propre ?

Non analysables par définition, le nom d’emprunt et le nom propre sont des structures figées insensibles à tout facteur de modification, qu’il soit interne ou externe. Ils ont donc un champ phonologique figé qui n’a, par conséquent, pas besoin d’être protégé. Avec un DT discret et non-analysable, la perte de la pause virtuelle à cause de l’enclise de DE n’est d’aucun effet pour l’autonomie de DT.

Exemples avec calʋʋ ‘arbre, sp.’ nom analysable, calʋʋɁ nom propre de village issu de calʋʋ et mangʋɁ ‘mangue’ nom d’emprunt, tous DT de -bu interprété tantôt comme ‘fruit’ tantôt comme ‘ressortissant’.

DTDEDTSépDE
calʋʋ-bucalʋʋn-bucalʋʋnbufruit de l’arbre calʋʋ
calʋʋɁ-bucalʋʋɁ -bucalʋʋburessortissant de Tchalo
mangʋɁ-bumangʋɁ -bumangʋbunoyau de la mangue

1.5. Le DT détermine le DE par la localisation

A l’article chien, un dictionnaire ne donne qu’un sens indéterminé au nom. Pour que chien soit déterminé il faut qu’il entre dans un contexte situationnel (par exemple dans [en sortant, Jean laisse le chien à la maison]) ou dans un contexte discursif (par exemple après [un chien a aboyé] on peut avoir le chien (en question) n’aboie plus), ou qu’il soit qualifié (par exemple dans [le chien noir]), quantifié (dans [deux chiens]), ou qu’il soit montré (dans [ce chien]), ou, enfin, qu’il soit localisé (dans [le chien du voisin]). La localisation est spatiale (avec chien du voisin) ou temporelle (avec chien de l’an dernier).

L’unité spécialisée dans la représentation de l’espace et le temps est l’adverbe (ici, maintenant). Mais un être, concret (arbre par ex.) ou abstrait (jour par ex.), peut servir de repère spatial ou temporel. Donc, quand DT n’est pas un adverbe, il est un être et, dans ce cas, il est un nom (ou son substitut pronominal).

En tant que DT d’un syntagme DT-DE, le nom peut être générique ou spécifique. Quand il est spécifique il s’adjoint une postposition, -tɛɛɁ. Soit nyɔɔzɩ ‘cheveux’ le terme DE d’un syntagme de localisation dont le DT est tantôt générique avec ʋrʋ ‘personne humaine’ tantôt spécifique avec samataɁ ‘nom propre féminin’. Avec le DT générique on aura <ʋrʋ nyɔɔzɩ> ‘cheveux d’humain’ alors qu’avec le DT spécifique on aura <samata-tɛɛ nyɔɔzɩ> ‘les cheveux de Samata’. La postposition -tɛɛɁ est, comme toutes les postpositions locatives de la langue, un radical amputé de son suffixe. Il est extrait de du nom à structure saturée tɛɛdɩ (/tɛɛ-t/) ‘lieu d’habitation, de résidence, village’.

En réalité -tɛɛɁ est, comme toutes les postpositions locatives de la langue, un DE enclitique. Il peut servir de DE à la place d’un nom saturé. Ainsi avec samataɁ comme DT on aura <samata-tɛɛɁ> ‘chez Samata’ ; avec ʋrʋ, on aura <ʋrʋ-n-tɛɛɁ> ‘chez une personne’. Le syntagme <samata-tɛɛ nyɔɔzɩ> est un syntagme dont DT est lui-même un syntagme locatif.

Le besoin d’un nom spécifique, déjà déterminé, de se doter de la postposition locative semble indiquer qu’un tel nom a besoin de renforcer sa capacité à servir de repère. Autrement dit moins un nom est déterminé plus il est en mesure de favoriser la construction d’un syntagme de localisation. Le nom composé à caractère locatif semble être l’aboutissement extrême de cette indétermination de DT puisque le DT du nom composé, en se réduisant au radical renvoie l’indétermination à son extrême sommet.

2. La pronominalisation du syntagme et de ses termes

En discours, un nom (par ex. Président) énoncé une fois (dans par ex. dans [le Président a prononcé un long discours]) peut être repris une ou plusieurs fois. Lors de la première reprise le nom est remplacé par un substitut. Celui-ci peut être un nom ou un qualificatif reprenant une des propriétés attachées au référent (par ex. le Chef de l’Etat dans, par ex. [dans ce discours, le chef de l’Etat a rappelé les doléances des populations]) ; il peut être un pronom, donc il dans par ex. [dans ce discours, il a rappelé les doléances des populations]). Le pronom est une forme spécifique de substitut qui incarne à la fois le genre, la fonction syntaxique et le nombre du nom auquel il se substitue. La forme qu’il prendra pour exprimer ces trois valeurs permet de mieux mettre au jour les propriétés du nom substitué. C’est en cela que l’opération de pronominalisation est une bonne source d’information.

Nous savons déjà que le pronom tem prend la forme de l’affixe de genre ou du pluriel du nom auquel il se substitue. Cette forme est clitique, elle s’associe au radical auquel elle est associée. Mais pour certaines fonctions syntaxiques qui demandent que le pronom soit autonome, la forme de base prend un pseudo-suffixe. Celui-ci diffère selon que le pronom est en fonction objet ou en situation d’emphase (topicalisé ou focalisé). Le syntagme de localisation est un tout pouvant assumer n’importe quelle fonction syntaxique propre au nom. Comment va-t-il être pronominalisé ? Ses termes sont-ils pronominalisables chacun ? Si oui, avec quelle forme ?

2.1. La pronominalisation du syntagme

Quand on voit arriver un aveugle guidé par un enfant, on dit « l’aveugle arrive », bien que ce soit deux personnes qui avancent ; celui qui a besoin de se déplacer ce n’est pas l’enfant, mais le non-voyant ; l’enfant n’est là que pour faciliter son mouvement. Il en est de même du syntagme de localisation : pour être identifié, le nom localisé a besoin du nom repère. Mais seul le repéré retient l’attention aussi bien de l’énonciateur que de l’interlocuteur. Quand on jette un œil sur l’ensemble du syntagme, à l’instar du couple aveugle-enfant, on ne voit que sa tête, le terme localisé. Aussi la pronominalisation du syntagme DT-DE dans sa totalité ne prend-elle en compte que le DE. Autrement dit, le pronom qui vaut pour le <DT DE> est celui du DE. Dans l’énoncé suivant : faaɖe fuduu, baa ya kɩɁ ‘l’igname de la boutique, on l’a vendue’, le pronom objet kɩɁ reprend le syntagme faaɖe fuduu, mais avec la forme propre au genre neutre (G4) de fuduu :

DTDEPrO
faaɖefuduubaayakɩɁ
boutiqueignameon avendrela
G4G4G4

Dans l’exemple ci-dessus, il se trouve que faaɖeɁ est un emprunt logé dans le genre neutre. Pour vérifier que c’est bien le pronom du DE fuduu qui est pris en compte, remplaçons le DT faaɖeɁ par un DT de genre différent, par exemple fɔɔ ‘champ’ (G3) ; avec l’énoncé qui en résulte fɔɔ fuduu, baa ya kɩɁ ‘l’igname du champ, on l’a vendue’, on a toujours un pronom de genre neutre, le genre du DE fuduu :

DTDEPrO
fɔɔfuduubaayakɩɁ
champignameon avendrela
G3G4G4

Si à la place du DE fuduu on avait son pluriel fudini ‘ignames’, on aurait faaɖe fudini, baa ya tɩɁ ou fɔɔ fudini, baa ya tɩɁ, avec un pronom objet pluriel du genre neutre, le genre du DE fudini :

DTDEPrO
fɔɔfudinibaayatɩɁ
champignameson avendreles
G3PlG4PlG4

Jusqu’ici, le syntagme <faaɖe fuduu> a été repris avec la fonction objet. Qu’en est-il avec la fonction sujet ? Soit l’énoncé faaɖe fuduu ta ya ; kɩɩzɩ ‘l’igname de la boutique ne s’est pas vendue ; elle est pourrie’. La séquence kɩɩzɩ s’articule ainsi : représente le radical du verbe (V) sɩm ‘mourir’ ; ɩ qui précède est le marqueur de l’accompli (Acc) ; et est le pronom sujet ; comme on le voit, il est du même G4 que fuduu.

DTDEAcc NégVPrDT-DEAccV
faaɖefuduutayaɩ
G4G4 G4

Pour confirmer que le syntagme doit son pronom à son élément de tête DE, changeons de genre de celui-ci avec -tʋʋ ‘propriétaire de’ de genre humain (G1). Bien qu’il fasse corps avec faaɖeɁ (G4) dans l’énoncé faaɖedʋʋ fɛyɩɁ, weegbe ‘le boutiquier est absent, il est rentré’, c’est toujours le DE qui offre son pronom à l’ensemble DT-DE. Dans la séquence weegbe, gbe représente le verbe kpem ‘renter chez soi’, il est précédé de e qui représente l’accompli ɩ ; quant à we, il est la réalisation de ʋ, pronom de G1, devant une voyelle.

DTDEVPrDT-DEAccV
faaɖe-tʋʋfɛyɩɁʋɩkpe
G4G1G1

La possibilité de pronominaliser le syntagme de localisation confirme son caractère d’entité unitaire : ses termes se comportent comme des éléments d’un corps unitaire, l’un comme une tête qui commande et l’autre comme une queue qui obéit. Est-il alors envisageable que la tête et la queue puissent être individualisées par une pronominalisation ?

2.2. La pronominalisation de DE

En discours, c’est lors de sa reprise que le nom peut être pronominalisé. Il en est ainsi parce qu’à cette instance le nom est en situation de déterminé. Il faut donc qu’un nom soit en situation de déterminé pour être pronominalisable. Dans le syntagme <DT DE>, DE est en situation de déterminé, il peut donc être pronominalisé.

On sait que le pronom se présente sous deux formes, une forme de base copiée sur celle du suffixe du nom pour la fonction sujet et deux formes suffixées l’une pour la fonction objet, l’autre en situation d’emphase. Quelle forme le substitut pronominal de DE qui n’est ni sujet, ni objet, ni topicalisé va-t-il prendre ?

Assumer une fonction dans le discours est le propre du syntagme DT-DE. Le terme DE n’assume aucune fonction syntaxique à titre individuel. La forme du pronom qui se substitue à lui n’a donc pas à être indexée sur une fonction syntaxique quelconque. En tant que forme syntaxiquement neutre, elle est une forme de base identique à celle du suffixe nominal.

Cette forme de base est, on le sait, incapable d’être autonome. Le pronom de DE (PrDE) est donc forcément directement lié au radical le plus proche, en l’occurrence celui du DT. Ce lien direct n’est pas sans problème. Pour que le syntagme DT-DE continue de demeurer une structure à termes discrets, et pour que le pronom de DE, représentant de l’élément tête du syntagme, continue d’assumer son rôle de tête, il faut qu’un champ phonologique lui soit reconnu et sauvegardé. Que faire ?

Quand il s’est agi de résoudre le même problème avec les DE enclitiques -bu et -tʋʋ, il a fallu recourir à un séparateur de champs, en l’occurrence n. Ici, on va recourir au même séparateur mais en le renforçant par un accent ; au lieu de n, il sera . Pourquoi un séparateur plus ferme ? Parce qu’à droite le champ phonologique à sauvegarder est réservé non pas à une structure à radical, mais à un morphème.

Mais avant toute chose, la pronominalisation de DE n’est possible que si le caractère localisateur de DT est évident. C’est pourquoi la préférence dans le choix du DT pour un pronom de DE va aux noms de lieu et de temps.

Soit fuduu ‘igname’ un DE précédé soit de calʋʋɁ ‘village de Tchalo’, un DT de lieu soit de atɛnɛɛɁ ‘lundi’, un DT de temps. Les syntagmes <calʋʋɁ fuduu> ‘l’igname de Tchalo’ et <atɛnɛɛɁ fuduu> ‘l’igname de lundi’ sont l’idéal pour une pronominalisation de fuduu (). En effet, du premier on aura <calʋʋɁ ń kɩ> ‘celle de Tchalo’ et du second on aura <atɛnɛɛɁ ń kɩ> ‘celle de lundi’ :

DT DE DT Sép PrDE
calʋʋɁ fuduu calʋʋɁ calʋʋńgɩ celle de Tchalo
atɛnɛɛɁ fuduu atɛnɛɛɁ atɛnɛɛńgɩ celle de lundi

Quand le DT est un nom ni de lieu ni de temps et qu’il est, de surcroît, déterminé à l’extrême (cas des noms propres) il est obligé de s’adjuger la postposition (Postp) -tɛɛ dans le but de créer une sphère temporelle ou locative autour de son référent. Si, par exemple, samataɁ ‘Samata’, un nom propre féminin’ est DT de fuduu il doit se suffixer -tɛɛɁ : <samataɁ -tɛɛɁ fuduu> ‘l’igname de Samata’ ; *<samataɁ fuduu> est rarement attesté. La pronominalisation de DE du schème autorisé donne <samataɁ -tɛɛɁ ń kɩ> ‘celle de Samata’.

DTDEDT-PostpDE DT-Postp SépPrDE
samataɁ fuduu samata-tɛɛɁ fuduu samata-tɛɛɁ

Quand le DT est un nom commun qui n’est ni de lieu ni de temps, la postposition -tɛɛɁ semble facultative. Avec faɖaa ‘cultivateurs’ comme DT on peut avoir <faɖaa fuduu> ou <faɖaa-n-tɛɛɁ fuduu> pour ‘l’igname des cultivateurs’.

Bien entendu, l’insertion du séparateur introduit quelques changements au niveau de la réalisation de surface. Soit le tableau suivant où des syntagmes <DT DE> voient leurs DE respectifs pronominalisés (pronom ) :

DTDEDTSépPrDE
1yomkʋjʋʋyom
esclavetête
2yómniveewuyóm
jus de viandemarmite
3kpeewukʋjʋʋkpeewu
greniertête
4fuduuɖɔkʋfuduu
ignamepanier
5kigbeemuukʋjʋʋkigbeemuu
bourdontête

Observons la réalisation des syntagmes à DE pronominalisés

1yom yomńgɩ
2yóm yómńgɩ
3kpeewu kpeewúṹgɩ
4fuduu fudú(u)ṹgɩ
5kigbeemuu kigbeemu(ú)ṹgɩ

La règle à la base de ces réalisations est la suivante : investit une copie de la voyelle finale (ou assimilé, cas de m nasale syllabique) en la nasalisant et en lui imposant son accent. Si cette réalisation entraîne la naissance d’une séquence de trois noyaux de syllabe successifs, le noyau médian (ici la voyelle mise entre parenthèses) ne se réalise pas ; toutefois si elle est inaccentuée la courbe mélodique de l’ensemble de la structure en tient compte. Ainsi la réalisation fudú(u)ṹgɩ par exemple a pour courbe mélodique [fudúũgɩ] en accord avec la règle qui veut qu’un schème mélodique de base BHBHB devienne BHBB (H = présence d’accent, pour mélodie haute et B=absence d’accent, pour mélodie basse).

On se rappelle que le séparateur n (sans accent) qui préserve le champ phonologique de DT analysable se contentait d’investir la dernière voyelle de celui-ci. Le séparateur , lui, tient à se constituer en syllabe autonome.

Les perturbations phonétiques envisagées jusqu’ici concernent le PrDE quand il est de schème CV. Qu’en est-il avec PrDE de schème V ?

Soit un syntagme dont le DE est yala ‘œufs’ dont le pronom est a. Soit aguluɁ ‘Agoulou, nom de village’ et uyoluu ‘chaleur’ deux DT possibles pour le pronom DE de yala. Observons les réalisations des syntagmes <agulu ń a> ‘ceux de Agoulou’ et <uyoluu ń a> ‘ceux de la chaleur’.

aguluɁa aguluṹná
uyoluua uyolu(u)ṹná

L’autre PrDE de schème V est ʋ/ɩ du genre humain. Pour le substituer au PrDE a, remplaçons yala par ʋrʋ ‘personne’, ce qui donnera les syntagmes <agulu ń ɩ> ‘celui de Agoulou’ et <uyoluu ń ɩ> ‘celui de la chaleur’, dont voici les réalisations de surface (l’accent aigu du ɩ final n’est pas marqué faute de caractère spécial pour) :

aguluɁɩ aguluṹnɩ
uyoluuɩuyolu(u)ṹnɩ

On note 1) que les champs phonologiques des PrDE a et ɩ sont sauvegardés. Ils échappent à la propriété +ATR de la voyelle u des DT ; 2) que le séparateur se crée une syllabe autonome ; 3) qu’il investit la syllabe V du suffixe en lui affectant une copie de lui comme élément périphérique d’une nouvelle syllabe pronominale de type CV ; 4) qu’il propage son accent sur la nouvelle syllabe CV.

Remarque avec les adverbes comme DT

Le nom commun en DT peut être monosyllabique. Quand c’est le cas, le monosyllabe est affecté d’un accent : (Pl. de téére ‘phacochère’), bú ‘enfant’, tó (Pl. de tóóre ‘bouton de peau’), etc. Lorsque, face à un DT monosyllabique le PrDE est V, la réalisation du syntagme donne une courbe mélodique haute et plate : ex. ‘ceux de boutons’ se réalise tóńná (HHH).

L’adverbe de temps ou de lieu peut assumer la fonction DT. Il peut être de schème monosyllabique et le monosyllabe peut être accentué. Quand on est en présence d’un adverbe monosyllabique accentué (situation du nom monosyllabique) et que le PrDE est V, la réalisation du syntagme donne une courbe mélodique haute et plate : ‘ceux de là-bas (ceux-là)’ se réalise lííná ; ‘ceux d’ici’ se réalise cééná. On constate que contrairement au syntagme dont le DT est un nom, ne nasalise plus la copie vocalique qu’il a pourtant générée. Pourtant, quand le PrDE est un CV, nasalise cette copie : ’celui de là-bas’ se réalise líínga (lire -in- comme un i nasalisé).

A la différence du nom, l’adverbe monosyllabique peut être non-accentué. D’ailleurs, un adverbe comme ce ‘ici’ se présente tantôt cé tantôt ce. Quand il est ce (sans accent), en présence d’un PrDE CV, aucun changement par rapport à (avec accent) : ‘celui d’ici’ se réalise ceénga (lire -en- comme un e nasalisé). Mais si PrDE est V, alors ‘ceux d’ici’ se réalise ceená : ni nasalisation, ni accentuation de la voyelle copiée pour . Tout porte à croire que a été affaibli par un déplacement de son accent. L’accent n’est plus porté par n ; il flotte à sa droite : est transformé en n H (H représente l’accent flottant à droite) ; donc est, en réalité, . Délesté de son accent, n n’a plus le pouvoir de nasaliser la copie vocalique qui continue d’être générée. Mais la transformation de en n H se limite au seul cas où ce (sans accent) se trouve en présence d’un PrDE V.

L’adverbe ‘quoi ?’, quant à lui, perd systématique son accent dès qu’il est question de servir de DT à un PrDE. En présence d’un PrDE V, il se comporte comme l’adverbe ce : ‘ceux de quoi ?’ devient et se réalise weená. Mais, à la différence de ce, we maintient son n H en présence d’un PrDE CV. Dans ce cas, le séparateur ne génère plus de copie vocalique, il nasalise l’unique voyelle de we et la consonne du PrDE CV se réalise forte du fait de l’accent dont bénéficie sa syllabe : ‘celui de quoi ?’ se réalise wẽká.

L’affaiblissement du séparateur à la suite de sa transformation en n H le rend incapable de protéger l’autonomie phonologique de PrDE. Celui-ci n’est donc plus à l’abri de la propriété ATR de l’adverbe : ‘celui-ci’ se réalise ceení ; ‘lequel ?’ se réalise weení ; ‘lequel’ se réalise wẽkí : partout le ɩ -ATR du PrDE devient i (+ATR) sous l’effet de la propriété +ATR de e de ce et we.

2.3. La pronominalisation de DT

Dans un syntagme <DT DE> la pronominalisation de DT n’est pas automatique. Il y a des DT qui sont si indéterminés qu’ils prennent une valeur plus qualitative que locative. Le mot arbre dans feuille d’arbre (précision utile pour la distinguer de la feuille de papier) n’a pas la même valeur que arbre dans feuille d’un arbre. Dans le premier syntagme arbre est hyper indéterminé et a presque la même valeur qu’un qualifiant ; dans le second arbre représente un référent susceptible de servir de repère à feuille. Dans feuille d’arbre, le termearbre ne peut être repris et, encore moins, pronominalisé.

Soit l’exemple du nom lakʋtaɁ (un emprunt à l’angl. doctor). Il désigne aussi bien un agent médical (médecin, infirmier, sage-femme) qu’un lieu de soins hospitaliers (infirmerie, hôpital). Dans un syntagme DT-DE, il peut servir de DT à un DE ayant un rapport avec la pratique de la médecine moderne (blouse, stéthoscope, médicament). Mais un syntagme tel que <lakʋtaɁ faadɩnɩ> peut signifier ‘médicament pharmaceutique’ (en opposition à <tem faadɩnɩ> ‘médicament traditionnel’) ou ‘médicament pour soigner le médecin’ (en opposition à, par ex., <wuro faadɩnɩ> ‘médicament pour soigner le roi’). Avec le premier sens (médicament pharmaceutique) lakʋtaɁ est si peu déterminé qu’il ne peut être pronominalisé. Avec le second sens (médicament pour le médecin) lakʋtaɁ est assez déterminé pour être pronominalisé.

Quelle forme le pronom du DT (PrDT) prend-il ? Le PrDT n’est ni en fonction objet ni en position de topicalisé ; il ne peut donc pas prendre la forme d’un pronom autonome. Il ne lui reste que la forme de base, à l’instar de celle du PrDE. Cette forme fait du PrDT un clitique, destiné à prendre appui sur un radical, celui du nom DE forcément. Dans une situation similaire le PrDE, lui, a tenu à préserver son autonomie en recourant à un séparateur. Le PrDT va-t-il chercher, lui aussi, à protéger son champ phonologique ? On se rappelle que quand le champ phonologique du nom DT était menacé par un DE clitique (-bu et -tʋʋ) il a fallu recourir à un séparateur de champs, n (sans accent).

On sait que dans le syntagme DT-DE, DT est le terme gouverné, donc faible. Si sa pronominalisation produit une forme clitique, celle-ci verrait sa faiblesse multipliée par deux. Il est donc faible à tel point qu’un séparateur n’est d’aucun secours. Dès lors, le PrDT renonce à l’autonomie de son champ phonologique. Il intègre le champ du nom DE.

Soit le pronom ka, substitut du nom fɔɔ ‘chien’. La variation du timbre de ce pronom dans les syntagmes ci-après ainsi que le voisement de la consonne initiale du nom DE montrent qu’il est dans le champ du nom DE.

PrDTDE
kakʋjʋʋkagʋjʋʋ
têtesa tête
kakelekegele
dentsa dent
kasuukozuu
queuesa queue

Avec un DT faazɩ ‘chiens’, le pronom est . Avec le pronom on aurait :

PrDTDE
kʋjʋʋsʋgʋjʋʋ
têteleur tête
kelesigele
dentleur dent
suusuzuu
queueleur queue

Comme on le voit, le PrDT tem tient sa forme du genre et du nombre du nom DT auquel il se substitue. C’est sa situation de terme dominé qui lui impose une propriété du DE.

2.4. La pronominalisation concomitante de DT et DE

La condition pour qu’un terme du syntagme <DT DE> puisse être pronominalisé est son degré de détermination. Tour à tour le DE et le DT se sont laissés pronominaliser sur la base de cette seule condition. Donc, théoriquement, rien n’empêche l’un de se pronominaliser en même temps que l’autre. Dans les faits, la pronominalisation concomitante existe. Toutefois, il convient d’avoir en mémoire que le pronom est, par définition, hyper-déterminé. On se rappelle que quand un nom est hyper-déterminé (cas du nom propre), il doit s’adjuger la postposition -tɛɛɁ en position de DT. Le pronom est lui aussi hyper-déterminé ; il doit, lui aussi, s’adjoindre la même postposition quand il est un DT en présence de PrDE.

Soit un PrDE représentant un nom de genre 4 comme kʋjʋʋ ‘tête’, ba un PrDT représentant le pluriel d’un nom de genre 1 comme ɩraa ‘personnes’ et un PrDT représentant le pluriel d’un nom de genre 3 comme faazɩ ‘chiens’. A l’aide de ces données, les syntagmes suivants sont possibles :

PrDT-tɛɛɁSépPrDE
ba-tɛɛɁbɛdɛɛńgɩla leur
sɩ-tɛɛɁsɩdɛɛńgɩla leur

Exceptionnellement le pronom DT du genre 1, ʋ, et sa forme de pluriel, ba, peuvent se passer de la postposition. Soit le PrDE de tɔm ‘affaires, palabres, défauts’. Avec le PrDT ʋ de ʋrʋ ‘personne’ on peut avoir <ʋ ń tɩ> ‘les siennes’ réalisé waańdɩ (lire -ań- comme un a nasalisé et accentué) à côté de la formule la plus fréquente <ʋ-tɛɛɁ ń tɩ> réalisé ɩdɛɛńdɩ (lire -ɛń- comme un ɛ nasalisé et accentué). Avec le PrDT ba de ɩraa ‘personnes’, on peut avoir <ba ń tɩ> ‘les leurs’ réalisée baańdɩ à côté de la formule la plus fréquente <ba-tɛɛɁ ń tɩ> réalisée bɛdɛɛńdɩ. La forme sans postposition est archaïque ; on la trouve dans le parler Bʋʋ et dans les textes littéraires (chansons, proverbes, maximes, contes, etc.).

Conclusion

Ainsi prend fin l’histoire du complexe de noms dont l’un est ce que la grammaire traditionnelle appelle « complément de nom » et que la linguistique moderne appelle syntagme de détermination sans autre précision.

La grammaire traditionnelle, en qualifiant le DT de « complément » reconnaît la hiérarchie qui existe entre le DT et le DE. Mais que veut dire « compléter » quand, en réalité, il s’agit de localisation ? Le syntagme <DT DE> est bien un syntagme de détermination mais la détermination s’exprime par différents procédés : <l’homme de l’oiseau> est un syntagme de détermination, <l’homme oiseau> aussi. Mais il y en a un qui détermine par localisation et l’autre par qualification.

L’aspect localisation de <DT DE> n’est pas exprimée par la seule position des termes l’un par rapport à l’autre, mais par la possibilité (ou l’obligation dans certains cas) d’adjoidre au DT de la postposition locative tɛɛɁ.

La pronominalisation des termes du syntagme <DT DE> révèle l’origine des structures françaises que la grammaire traditionnelle traite de pronoms à savoir le démonstratif (celui-ci), le possessif (le sien), le relatif (qui) et l’interrogatif (qui ? ). En tem, ces structures sont clairement des syntagmes de pronoms : <PrDT PrDE>.

mardi 2 octobre 2012

Initiation à la grammaire tem. Chapitre 3 : Le nom. Leçon 10 : Quand le pronom démasque un faux syntagme de coordination

On entend par syntagme de coordination une structure qui associe des entités linguistique de même rang, c’est-à-dire de même catégorie grammaticale et de même fonction syntaxique. Si une des entités est un nom (N) par exemple, l’autre doit être un nom, elle aussi (N+N). Si l’un des N assume la fonction de sujet (S), l’autre doit être de fonction sujet, lui aussi (NS+NS). Si, à la place de la fonction sujet, c’est la fonction objet qu’assume l’un des N, l’autre doit être de fonction objet, lui aussi (NO+NO). Le plus souvent le syntagme est à deux termes (<NS+NS> ou <NO+NO>) mais il n’est pas exclu qu’il en ait plus, trois par exemples (<NS+NS+NS> ou <NO+NO+NO>). Quel que soit le nombre de ses termes un syntagme est soumis aux mêmes lois syntaxiques qu’un nom simple. Notamment il peut être pronominalisé. Dans une langue à genres, les termes du syntagme nominal peuvent appartenir à des genres différents. La forme du pronom étant spécifique à chaque genre, quelle serait la forme du pronom qui reprend un syntagme dont les termes appartiennent à des genres différents ? Le tem est une langue à genres. En cas de pronominalisation, quelle forme prendra le substitut du syntagme dont les termes appartiennent à des genres différents ?

1. Résolution préalable d’une bizarrerie

Dans le syntagme le symbole ‘+’ entre les termes représente le coordonnant, disons le relateur (Rel). Il correspond au ‘et’ du français et au ‘and’ de l’anglais. En tem il est formulé par na. Quand le syntagme <N na N> est face à un verbe en tant que sujet, quand il est donc <NS+NS> il n’a pas de contact direct avec lui ; il est intercédé par un pronom. Si <NS+NS› est strictement équivalent à <NS> pourquoi le syntagme est-il repris par un pronom alors que le nom simple ne l’est pas ? Répondre à cette question aidera probablement à mieux résoudre le problème de la pronominalisation du syntagme. La question sera traitée en questionnant deux identités : l’identité du pronom intercesseur et celle du syntagme lui-même.

1.1. L’identité du pronom intercesseur

Soit le syntagme <bú na ɩgbám> ‘l’enfant et le chasseur’ et le verbe ‘se taire’ à l’accompli <ɩzúɁ>. En faisant du syntagme le sujet du verbe, on s’attend à la formulation *bú na ɩgbám ɩzu. Au lieu de cette formule on a bú na ɩgbám boozú ‘l’enfant et le chasseur se sont tus’ dont l’analyse fait ressortir la composante syntagme sujet (<NS na NS>), la composante verbe (V) et la composante pronom intercesseur (Pr) :

(1) bú na ɩgbám boozú (bú na ɩgbám ba-ɩ-sú)
<búnaɩgbám>ba-ɩ-sú
|||||
<NSRelNS>PrV

Le tableau montre bien un pronom ba entre le verbe et le syntagme. Une telle formulation n’est connue dans la langue qu’avec l’opération de la topicalisation. Mais quand il s’agit d’une telle opération énonciative, il y a une pause entre <NS> et le pronom ; la pause manifeste l’expulsion du nom sujet topicalisé hors de la relation prédicative ; l’expulsion laisse une place vide de sujet qu’occupe alors le pronom. Le syntagme, lui aussi peut faire l’objet de la topicalisation. Quand c’est le cas, l’expulsion du syntagme de la relation prédicative crée une pause. Ainsi, l’énoncé bú na ɩgbám, boozú où <bú na ɩgbám> est topicalisé, a le sens de ‘quant à l’enfant et au chasseur, ils se sont tus’ ; cette traduction, on ne voit bien, est différente de ‘l’enfant et le chasseur se sont tus’ de l’énoncé précédent où le même syntagme n’est pas topicalisé.

Il est vrai que dans le même contexte verbal, on verrait apparaître avec le nom simple <NS> un pronom intercesseur. Celui du syntagme serait-il donc dans la norme attendue ? Pour le savoir il convient d’approfondir notre connaissance sur le rôle de l’intercesseur de <NS>. En substituant <bú na ɩgbám> par <bú> on obtient l’énoncé bú woozu ‘l’enfant dont l’analyse fait apparaître effectivement trois composantes dont un pronom intercesseur, wa :

(2) bú woozú (bú wa-ɩ-sú)
búwa-ɩ-sú
|||
NSPrV

A vrai dire, ce n’est pas toujours qu’il y a un pronom devant le verbe en présence du nom sujet. Dans l’énoncé bú sumáaɁ ‘l’enfant est silencieux’ le radical verbal sum est suivi d’un marqueur verbal, Ha, qui a valeur d’aspect statif (Stat). Entre le nom sujet bú et le verbe, il n’y a pas de pronom.

(3) bú sumáaɁ (bú sum-HaɁ)
búsum-HaɁ
||
NSV

L’absence du pronom est peut-être liée à la non-préfixation du marqueur verbal. Pour en avoir le cœur net, faisons appel au marqueur de négation, ta … Ɂ, qui est un circonfixe ; en effet prend le verbe en sandwich, faisant du segment ta le premier préfixe du verbe. Dans l’énoncé bú to súɁ ‘l’enfant ne s’est pas tu’ le radical verbal su est préfixé par le marqueur de l’accompli ɩ H que le négatif ta oblige à se réduire à H et le segment ta de la négation ; il est clos à droite par le coup de glotte Ɂ, dernière manifestation de la négation.

(4) bú to súɁ (bú ta-súɁ)
búta súɁ
||
NSV

Entre le nom sujet et le verbe, malgré la préfixation de deux marqueurs verbaux, il n’y a pas d’intercession pronominale. On remarque une différence entre le premier marqueur verbal, ɩ H en présence duquel s’est manifesté le pronom et le second, ta … Ɂ en présence duquel il est absent : le premier a un segment vocalique tandis que le second a un segment à initiale consonantique. N’est-ce pas l’initiale vocalique du premier qui aurait occasionné l’apparition du pronom intercesseur ? Vérifions l’hypothèse avec un autre marqueur verbal à initiale ou à segment vocalique, Hn de l’inaccompli (Inac). En tem, une nasale sans support vocalique est traitée comme un noyau syllabique, donc comme une voyelle. Observons l’énoncé bú wô̰zúm ‘l’enfant va se taire’ :

(5) bú wô̰zúm (bú wa-nzúm)
búwa-nzúm
|||
NSPrV

Avec un marqueur verbal préfixé à segment vocalique le pronom réapparaît. Il ne s’agit donc pas de pronom à proprement parler, c’est-à-dire un pronom qui reprend le nom mais un outil sans valeur morphosyntaxique servant simplement de support à un marqueur verbal préfixé à segment vocalique. C’est pourquoi il est invariable. Certes, la forme ʋ est celle du pronom représentant le genre humain et, dans les exemples ci-dessus, le nom supposé repris est aussi du genre humain. Mais si le nom bú prend la forme de pluriel, bíya, qui exige la forme ba au pronom, le pronom-support demeure wa comme le montre l’énoncé bíya wô̰zúm ‘les enfants vont se taire’ :

(6) bíya wô̰zúm (bi-ba wa-nzúm)
bi-bawa-nzúm
 || 
 PlG1G1 

Le support demeure wa après un nom d’un genre autre qu’humain. En effet dans l’énoncé fôɔ woozu ‘le chien s’est tu’, le nom fôɔ ‘chien’ devrait être repris par un pronom de forme ka ; à la place de cette forme c’est wa qu’on a :

(7) fôɔ wô̰zúm (fa-ka wa-nzúm)
fa-kawa-nzúm
 || 
 G3G1 

Une règle s’impose. En voici la formulation : Si un nom sujet est suivi d’un verbe, les deux constituants syntaxiques sont séparés par une pause et l’initiale du verbe doit être consonantique. Si, par préfixation d’un marqueur verbal le verbal venait à avoir une initiale vocalique celle-ci doit être soutenue par un support à initiale consonantique. Ce support peut être un autre marqueur précédant le premier à initiale vocalique. En l’absence d’une telle solution, il est fait appel à un outil qui prend la forme du pronom sujet à cause de sa soudure morphologique au verbe. Cette forme est invariablement wa.

Pour revenir au pronom ba qui intervient concomitamment au syntagme de coordination, on observe les faits suivants :

Les membres coordonnés d’un syntagme ne peuvent qu’imputer une forme de pluriel au pronom qui les représente. Dans l’énoncé (1) ci-dessus (bú na ɩgbám boozu) le pronom ba est effectivement une forme de pluriel du pronom tem. Cette forme de pluriel correspond au marqueur du genre humain dont une des formes est wa.

(1) bú na ɩgbám boozu (bú na ɩgbám ba- ɩ-su)
<bú   na   ɩgbám>   ba-   ɩ-su
|       |   |    
<G1       G1>   PlG1    

En outre l’exemple (8) bú na fôɔ boozu ‘l’enfant et le chien se sont tus’ où bú est du genre humain (G1) et fôɔ du genre menu (G3) montre que même si l’un des membres d’un syntagme n’est pas du genre humain, le pronom reste du genre humain :

(8) bú na fôɔ boozu (bú na fôɔ ba- ɩ-su)
<bú na fôɔ> ba-  ɩ-su
|   |<|  
<G1    G3>  PlG1  

Mieux encore, l’exemple (9) fôɔ na fééni boozú ‘le chien et les moutons se sont tus’ où aucun des membres du syntagme n’appartient au genre humain montre que ba, tout comme wa, n’est pas sensible au genre des termes du syntagme.

(9) fôɔ na fééni boozu (fôɔ na fééni ba- ɩ-su)
<fôɔ na fééni> ba-  ɩ-su
|   | |  
<G3    PlG4>  PlG1  

Au regard de ces faits, on pourrait se demander si ba n’est pas la réplique de wadans le contexte du syntagme. Mais d’autres considération et fait invalident l’interrogation.

Il y a d’abord le principe selon lequel un pluriel en vaut un autre : un pluriel imputé à l’addition de deux noms représentant des êtres différents est le même qu’un pluriel imputé à un nom représentant au moins deux êtres identiques. Si, au pluriel de bíya (pluriel de bú, exemple (6)) le pronom n’a pas répondu par une forme pluriel, il n’y a pas de raison qu’il réponde quand il s’agit de deux noms différents des syntagmes bú na ɩgbám de l’exemple (1) et bú na fôɔ de l’exemple (8).

Il y a ensuite les énoncés bú na ɩgbám bozumáaɁ ‘l’enfant et le chasseur sont silencieux’

(10) bú na ɩgbám bozumáaɁ (bú na ɩgbám ba- sum-HaɁ)
<bú na ɩgbám> ba-  sum-HaɁ
      |  
      Pr  

et bú na ɩgbám bodosúɁ ‘l’enfant et le chasseur ne se sont pas tus’

(11) bú na ɩgbám bodo súɁ (bú na ɩgbám ba- ta-H-suɁ)
<bú na ɩgbám> ba- ta-H-suɁ
      |  
      Pr  

ba est présent bien que le verbe n’ait pas de début vocalique à supporter. Le pronom ba est donc bien généré par le syntagme. S’il ne s’adapte pas au genre des termes du syntagme même quand ceux-ci sont du même genre, c’est que ce ne sont pas les termes qu’il représente qui sont pronominalisés. Son invariabilité est due à autre chose qu’à une simple addition de noms. Cela suppose que le syntagme en question ici n’est pas un syntagme de coordination. Qu’est-ce alors ?

1.2. Identification du syntagme par le test de la pronominalisation des termes

Le tem a l’avantage de donner des formes différentes à son pronom en fonction de ses rôles syntaxiques. Si donc un pronom en fonction sujet se reconnaît par sa forme, en pronominalisant les termes du syntagme on saura si chacun des termes est effectivement en fonction sujet. Le tem a également l’avantage de pronominaliser concomitamment les deux termes du syntagme même si ceux-ci appartiennent au même genre. Ce n’est certainement pas une particularité attachée à la langue à genres qu’il est mais probablement une spécificité de son syntagme de coordination. Un syntagme peut être énoncé isolément comme réponse à une question. Un syntagme tel que bú na ɩgbám ‘l’enfant et le chasseur’ peut être une réponse à la question de savoir qui s’est tu. Pour pronominaliser ses termes, nul n’est besoin de l’intégrer dans un énoncé plus large. Voici donc le syntagme des noms en (12) et son équivalent en pronoms en (13). Rappelons que les deux noms sont du même genre humain :

(12)   bú   na   ɩgbám
    |       |
(13)   î       yɩɁ

La réalisation î du pronom de bú est celle d’un ʋ en fonction sujet. En effet il est soudé à na dont la voyelle a lui attribue en retour ses traits –ATR et –Ro selon les règles de l’harmonie vocalique. L’accent qu’il porte n’est pas de lui. L’accent est attaché à na en tant qu’accent flottant à gauche et près à se fixer sur une des dépendances de na ; la forme complète du relateur est donc Hna. Au total, tel un pronom en fonction sujet, ʋ de bú est entièrement sous la dépendance de Hna. La réalisation de yɩɁ, quant à elle, est celle du même pronom ʋ du genre humain mais en fonction objet.

î   na   yɩɁ
|       |
ʋ sujet       ʋ objet

Tout se passe comme si notre syntagme de coordination était plutôt une relation prédicative dont le premier terme est le sujet, le second terme l’objet et le relateur un prédicat (Préd).

bú   na   ɩgbám
|   |   |
NS   Préd   NO

La pronominalisation des termes du syntagme révèle la vraie identité de notre syntagme. Il ne s’agit d’un syntagme de coordination dont les termes sont symétriques et, comme tels, assument la même fonction syntaxique. Il s’agit plutôt d’une structure particulière de relation prédicative ou l’un des termes joue le rôle se sujet et l’autre celui d’objet. Une relation prédicative n’est pas habilitée à être sujet, tout au moins un sujet direct de verbe. Le pronom intercesseur peut être interprété de deux façons : soit qu’il est le marqueur qui nominalise la relation prédicative <NS Hna NO> afin de lui attribuer un statut lui permettant d’assumer la fonction sujet, soit comme un pronom neutre ayant pour fonction de reprendre une structure non-nominale dont le but est d’assumer une fonction sujet, ce qui justifierait son invariabilité. Dans tous les cas, avec <NS Hna NO>, on a affaire à un syntagme prédicatif.

2. La pronominalisation du syntagme prédicatif

Maintenant que nous connaissons les vraies identités du syntagme et de son pronom intercesseur, ba, nous pouvons procéder à sa pronominalisation en tant qu’entité afin de satisfaire à notre curiosité de départ.

Soit deux syntagmes prédicatifs <bú na ɩgbám> et <fôɔ na fééni> dans un énoncé tel que bú na ɩgbám baamʋ fôɔ na fééni ‘l’enfant et le chasseur ont acheté un chien et des moutons’. L’analyse de l’énoncé met au jour trois constituants syntaxiques, le sujet <bú na ɩgbám ba->, le verbe <ɩmʋ> et l’objet <fôɔ na fééni>. La pronominalisation des deux syntagmes au sein de l’énoncé donne le nouvel énoncé suivant : baamʋ wɛɁ ‘ils les ont achetés’ dont l’analyse donne <ba-> sujet, <ɩmʋ> verbe et <wɛɁ> objet. La forme ba pour le pronom sujet était prévisible puisqu’elle était déjà présente concomitamment au syntagme. La forme wɛɁ ne trahit pas car si on a PLG1 (ba) pour le sujet on devrait s’attendre à un PLG1 aussi pour l’objet ; elle ne trahit pas non plus car la forme de PlG1 en situation d’objet est wɛɁ.

<bú na ɩgbám ba->   <ɩmʋ>   <fôɔ na fééni>
|       |
<ba- sujet>       <ba- objet>
|       |
ba       wɛɁ

En revanche ce que la pronominalisation nous apprend c’est le choix du genre humain (G1) comme fournisseur, encore fois, du pronom neutre. On se rappelle que c’est le même genre qui a fourni wa comme support de marqueurs verbaux à initiale vocalique. On comprend que la forme du pronom de genre, ʋ, ayant donc été pris pour servir de support, il ne reste au genre fournisseur que la forme de pluriel du pronom, ba.

A ce stade de l’exposé, toutes nos interrogations en rapport avec le syntagme que nous reconnaissons désormais comme prédicatif ont trouvé réponses. Mais jusqu’ici nous avons examiné NS en tant que N ou son substitut pronominal IL. La forme ba du pronom demeure-t-il si les termes ou l’un des termes est un nom allocutif ?

3. La pronominalisation du syntagme comportant un allocutif

L’allocutif est le nom que deux interlocuteurs se donnent pendant un échange interlocutoire. L’énonciateur se donne le nom JE et nomme le co-énonciateur TU. JE et TU peuvent être singulier ou pluriel. En tem voici les formes des allocutifs selon leur nombre et leurs fonctions :

  Topic S O
JE singulier môô  má ma
JE pluriel ɖôô  ɖá ɖáaɁ
TU singulier nyôô  nyá nya
TU pluriel mîyôô   mîɩɁɁ

Les termes NS et NO du syntagme <NS Hna NO> ne sont pas l’instance du seul nom N et de son pronom IL. Il peut accueillir les noms allocutifs que sont JE et TU. Si l’un des termes est instancié par un allocutif celui-ci occupe la position NS ; si les deux termes sont des allocutifs, c’est JE qui occupe la position NS. Voici les cinq combinaisons possibles avec quand un des termes au moins est un allocutif :

NS Hna NO
|    |
JE    N
JE    IL
JE    TU
TU    N
TU    IL

Un syntagme à terme allocutif peut, lui aussi, avoir un substitut pronominal. Le résultat de la pronominalisation du syntagme à termes N ou IL n’a pas donné un résultat différent du pronom intercesseur devant le verbe dont le syntagme est sujet. Il suffit donc de mettre au jour l’intercesseur d’un syntagme à terme allocutif pour connaître son substitut pronominal. Les données sont les suivantes :

JE + N : mána bú ɖóózú   l’enfant et moi nous nous sommes tus
JE + IL : mána yɩ ɖóózú   lui et moi nous nous sommes tus
JE + TU : mána nya ɖóózú   toi et moi nous nous sommes tus
TU +N : nyána bú múúzú   toi et l’enfant vous vous êtes tus
TU + IL : nyána yɩ múúzú   toi et lui vous vous êtes tus

De l’analyse de ɖóózú ‘nous nous sommes tus’ et múúzú ‘vous vous êtes tus’, il ressort que l’intercesseur est ɖá- c’est-à-dire JE pluriel (JEpl) quand le terme NS est JE et qu’il est mî- c’est-à-dire TU pluriel (TUpl) quand le terme NS est TU.

NS   Hna   NO     Pr
|       |     |
JE       N   JE pluriel
JE       IL   JE pluriel
JE       TU   JE pluriel
TU       N   TU pluriel
TU       IL   TU pluriel

Il suffit donc qu’un des termes du syntagme soit un allocutif pour que le substitut soit ce allocutif au pluriel, que le terme allocutif soit singulier ou pluriel. Il découle de cette mise au jour que l’intercesseur du syntagme à termes N ou IL n’est pas ba par hasard. Quel que soit le marqueur de genre choisi, il devrait être de forme pluriel. Ce qui est donc invariable dans ba, c’est uniquement le genre. Le ba comme l’allocutif pluriel restent variable pour le reste, en particulier avec la fonction. A l’instar de ba qui se réalise ba- en position sujet, wɛɁ en position objet et bamH en position de topicalisé, JEpl se réalise ɖá- en position sujet, ɖáaɁ en position objet et ɖôô en position de topicalisé ; de son côté TUpl se réalise mî- en position sujet, mîɩɁ en position objet et mîyôô en position de topicalisé. Schéma :

   Topic S O
ba bamH ba- wɛɁ
ɖá ɖôô ɖá- ɖáaɁ
 mîyôô mî- mîɩɁ

Conclusion

L’habitude de voir les termes d’un syntagme de coordination reliés par un coordonnant a failli nous induire en erreur quant au statut du syntagme tem qui réunit deux noms à l’aide d’un relateur extérieurement semblable à un simple coordonnant. La pronominalisation des termes a permis de découvrir qu’au lieu de servir d’axe de symétrie aux deux termes, le relateur tem se comporte comme un verbe faisant du terme qui le précède un sujet et du terme qui le suit un objet. C’est donc à l’aide d’une construction prédicative que le tem exprime la mise en compagnie de deux entités nominales différentes. Cette formule n’est pas une spécificité d’une langue à genres ; le français qui en est une exprime la mise en compagnie à l’aide d’un vrai syntagme de coordination. La disposition tem peut être présente ailleurs notamment dans une langue sans genres. Le seul moyen de détecter dans une langue une construction prédicative aux fins de mise en compagnie de deux êtres comme le fait le tem est la présence ou l’absence d’un pronom intercesseur entre le syntagme et le verbe dont il est sujet, sans qu’il ne soit question de topicalisation.

dimanche 2 septembre 2012

Initiation à la grammaire tem. Chapitre 3 : Le nom. Leçon 9 : Le pronom dans tous ses états

Dans le discours, l’unité grammaticale spécialisée dans la reprise du nom est le pronom. Il n’y en a qu’un par langue. Mais tel un caméléon, il se couvre de robes différentes pour s’adapter à certains contextes, sémantiques ou syntaxiques. En tem, les contextes qui contraignent le pronom à changer de robe sont le genre, le pluriel et l’autonomie morphosyntaxique.

1. Le contexte du genre

Dans une langue sans genres, le pronom a la même forme pour tous les noms du lexique. Dans une langue à genres, il doit refléter le genre du nom repris. Pour cela il prend une forme spécifique propre à ce genre. Généralement, le pronom, tel ce mollusque des plages qui squatte le coquillage vide à sa portée, prend la forme du marqueur de genre. On sait que le tem a quatre genres : le genre humain dont le marqueur est ʋ, le genre dérivé dont le marqueur est ɖ, le genre menu dont le marqueur est ka et le genre neutre dont le marqueur est k. Les formes de ces marqueurs sont autant de refuges pour le pronom. Ainsi, il prend la forme ʋ pour le genre humain, la forme ɖ pour le genre dérivé, la forme ka pour le genre menu et la forme k pour le genre neutre. Dans le tableau qui suit G1, G2, G3 et G4 représentent respectivement le genre humain, le genre dérivé, le genre menu et le genre neutre.

G1   G2   G3   G4
|   |   |   |
ʋ   ɖ   ka   k

2. Le contexte du pluriel

Le changement de forme du pronom quand le nom dont il est le substitut passe au pluriel semble une constante dans les langues. Dans une langue à genres, le substitut pronominal d’un nom au pluriel doit refléter à la fois le genre et le pluriel. Les quatre genres du tem regroupent, chacun, des noms comptables. Ceux-ci peuvent donc subir une dérivation plurielle. On sait que la pluralisation se fait en tem au moyen de la substitution du marqueur de genre par un marqueur de pluriel. Donc, au pluriel, le nom affiche un nouveau marqueur. La coquille de ce marqueur devient le refuge du pronom pluriel. Comme les marqueurs de pluriel des genres sont, dans l’ordre, ba, a, s et t, le pronom aura les formes respectives suivantes : ba, a, s et t. Il faut y inclure la forme de pluriel b réservée à certains noms à valeur dense ; en la squattant le pronom épouse sa forme. Au total, les formes de pluriel du pronom sont les suivantes :

G1   G2   G3   G4   dense
|   |   |   |   |
ba   a   s   t   b

On notera que le pronom n’emprunte à l’affixe du nom que sa carcasse segmentale. A la différence du suffixe nominal, le pronom n’est pas associé à l’accent.

3. L’autonomie morphosyntaxique

Outre leur différence de forme, l’unité grammaticale et l’unité lexicale assument des fonctions différentes. Le pronom est, par sa forme, une unité grammaticale mais il est appelé à assumer des fonctions réservées à l’unité lexicale. Cette situation l’amène à adopter deux types de forme dans le discours, l’un quand il est en situation de dépendance par rapport à une unité lexicale et l’autre quand il est autonome par rapport aux unités lexicales environnantes.

3.1. La dépendance

En fonction sujet, le pronom est intimement lié au verbe, une unité lexicale. Cette union se manifeste par l’assomption de certains marqueurs verbaux par le pronom. Dans l’exemple qui suit, l’accent H est un marqueur verbal (il exprime l’injonction (Inj)) pourtant il est fixé, non pas par le verbe salaɁ mais par le pronom ba.

bá salaɁ
ba   H   salaɁ
ils   Inj   tomber
Qu’ils tombent !

Dans cet autre exemple, ɩ H est le marqueur qui indique que le verbe est à l’aspect accompli. L’assimilation de son segment ɩ par la voyelle de ba montre que le marqueur verbal s’adosse au pronom. Le radical n’en reçoit que l’accent.

baa zálaɁ
ba   ɩ H   salaɁ
ils   Acc   tomber
Ils sont tombés

Ci-dessous le marqueur verbal d’inaccompli Hn repose entièrement sur le pronom ba. Son segment n se fond dans la voyelle du pronom qui devient nasale, et c’est la même voyelle qui sert de support à l’accent H.

bâ̰ zalîɩ
ba   Hn   salîɩ
ils   Inac   tomber
Ils vont tomber

En fonction de déterminant de nom, le pronom est préfixé et directement lié au nom déterminé. Etant ainsi en contact direct avec le nom, sa voyelle impose son influence affaiblissante à la consonne du déterminé. Dans l’exemple suivant, l’affaiblissement de f de fará en v sous l’influence de a de ba prouve que ba et fará sont intimement liés.

ba vará
ba   fará
leurs   dabas
Leurs dabas

Dans les deux contextes de fonction sujet et de déterminant, le pronom est intégré dans une unité lexicale, laquelle lui assure la dépendance qui est le propre d’une unité grammaticale. Dans ces conditions, le pronom garde les formes empruntées aux affixes qui, rappelons-le, sont les marqueurs de genre (MG) et les formes du marqueur de pluriel (MP) :

  MG   MP
  |   |
G1 ʋ   ba
G2 ɖ   a
G3 ka   s
G4 k   t
dense     b

Le tableau ci-dessus fait apparaître trois types de schème phonématiques pour le marqueur (M) : CV, V et C. Dans le discours, le schème C recourt à une voyelle de soutien. Celle qui lui est offerte est ɩ. Ainsi pour devenir schème de pronom, le schème C de marqueur doit s’ouvrir pour devenir CV. Voici donc les schèmes du pronom (P) selon qu’il représente le nom ou son pluriel :

M       P
|       |
b    
ɖ     ɖɩ
k    
s    
t    

En principe, les schèmes a et ʋ constitués chacun d’une voyelle ne devraient pas avoir de problèmes, mais c’est sans compter avec ʋ. Soit le corpus de noms et de verbes suivant où H représente un accent flottant :

tûʋ   maître, seigneur
ɩzá   yeux
Hn sám   être en train de / féliciter
ɩ H sa   avoir / féliciter

Intégré dans unités lexicales, le schème a ne change pas de forme :

a dûʋ   leur maître
a azá   leurs yeux
â̰ zám   ils sont en train de féliciter
aa zá   ils ont félicité

Dans les mêmes conditions, le schème ʋ, lui, se mue en wa devant une voyelle ou un n syllabique :

ʋ dûʋ   son maître
wa azá   ses yeux
wâ̰ zám   il est en train de féliciter
waa zá   il a félicité

Les formes que prend le pronom en fonction sujet ou de déterminant sont, dans le discours, les suivantes, avec FG pour forme de genre et FP pour forme de pluriel :

  FG   FP
  |   |
G1 ʋ/wa   ba
G2 ɖɩ   a
G3 ka  
G4  
dense    

Les modifications imposées par le discours ne s’arrêtent pas là. En tant qu’unité morphologique dépendante d’une unité lexicale en situation de préfixe, le pronom doit accueillir à la fois la propriété ATR et la propriété Ro de la voyelle radicale au profit de la sienne. Ainsi, selon le contexte a peut se réaliser a, ɛ, ɔ, e ou o ; de son côté ɩ peut se réaliser ɩ, ʋ, i ou u. Mais l’harmonie vocalique n’est pas spécifique au pronom. Elle est le sort réservé à toute unité grammaticale dépendante au sein du domaine d’une unité lexicale. Toutefois, l’harmonisation vocalique souligne la dépendance du pronom par rapport au nom dont il est le déterminant ou au verbe dont il est le sujet.

3.2. L’autonomie

Deux indicateurs signalent l’autonomie du pronom dans le discours : 1) la non soumission à l’harmonie vocalique et 2) la différence de forme par rapport à celle du pronom en fonction sujet ou de déterminant. Cette autonomie se manifeste dans deux instances syntaxiques : la fonction objet et l’emphase.

3.2.1. L’autonomie du pronom en fonction objet

Un match de football oppose deux équipes A et B. Un spectateur souhaite que les joueurs de l’équipe A gagnent ceux de l’équipe B. Il énonce son souhait en se servant du même pronom ba en fonction sujet et en fonction objet autour du verbe ɖi HɁ ‘gagner’ :

bé ɖí wêɁ
ba   H   ɖi HɁ   wɛ HɁ
ba sujet   Inj   Verbe   ba objet
Qu’ils les gagnent !

Puis il fait un constat à l’aide du même pronom autour du même verbe :

bee ɖi wɛɁ
ba   ɩ H   ɖi HɁ   wɛ HɁ
ba sujet   Acc   Verbe   ba objet
Ils les ont gagnés

Dans le souhait comme dans le constat, la voyelle de ba en fonction sujet subit les règles de l’harmonie vocalique qui la contraignent à adopter les propriétés +ATR et -Ro de i, la voyelle du verbe. Cette contrainte trahit la dépendance de ba au verbe. Si les mêmes contraintes avaient été imposées à la voyelle de ba objet, elle se serait réalisée e. ba objet est donc indépendant du radical verbal. Pourquoi ba objet se réalise-t-il wɛ HɁ ?

La forme wɛ HɁ n’est pas celle d’une réalité totalement nouvelle. Dans la forme de base il y a ba. Comment ba qui, en autonomie aurait dû se réaliser ba, se réalise-t-il wɛ HɁ ?

Pour que a de ba devienne ɛ, il faut qu’il ait subi une coalescence avec ɛ ou ɩ. Il n’existe pas, dans la langue un morphème ɛ, en revanche ɩ est souvent le corps nombre de morphèmes. La coalescence s’est donc opérée entre a et ɩ. ba étant dépourvu d’accent, c’est ɩ qui est l’unité qu’accompagne l’accent flottant de wɛ HɁ. Doté d’un accent, ɩ prend l’allure d’un suffixe. Mais pour être un vrai suffixe il aurait fallu que son accent soit fixé par lui (ɩH) ou qu’il flotte à sa gauche () et qu’il ne soit pas affecté par un coup de glotte (Ɂ).

En réalité wɛ HɁ est un simulacre de suffixe. L’autonomie dans le discours est le propre d’une unité lexicale, notamment le nom. Pour tenir cette position, ba est obligé de simuler une structure nominale, faisant de son propre corps un simulacre de radical lexical qu’il fait accompagner par un simulacre de suffixe. Donc wɛ HɁ résulte de l’association du faux radical ba et du faux suffixe ɩ HɁ. Les autres formes du pronom en fonction objet relatives aux genres et au pluriel se construisent sur le même modèle.

ba   +   ɩ HɁ     wɛ HɁ
ka   +   ɩ HɁ     kɛ HɁ
ɖɛ   +   ɩ HɁ     ɖɛ HɁ
a   +   ɩ HɁ     yɛ HɁ
ʋ   +   ɩ HɁ     yɩ HɁ
  +   ɩ HɁ     bɩ HɁ
  +   ɩ HɁ     kɩ HɁ
  +   ɩ HɁ     sɩ HɁ
  +   ɩ HɁ     tɩ HɁ

Constat et explication :

a) La coalescence entre a ou ɛ et ɩ donne ɛ.
b) La coalescence entre ɩ ou ʋ et ɩ donne ɩ.
c) L’affaiblissement de b de ba en w n’a pas d’explication apparente.
d) Dans l’imitation du suffixe, ɖɛ a gardé l’épenthétique ɛ du vrai suffixe. C’est ce ɛ qui entre en coalescence avec ɩ, coalescence dont résulte ɛ.
e) Quand le schème du faux radical est V, le faux affixe l’embrasse en dégageant une copie de ɩ pour servir de préfixe : ɩ HɁ devient ainsi ɩ ... ɩ HɁ. Mais alors le ɩ préfixe devant une voyelle se transforme en consonne, en l’occurrence y ; l’ensemble de la construction /ɩ-V-ɩ HɁ/ se transforme en /y-V-ɩ HɁ/.

3.2.2. L’autonomie en situation d’emphase

Deux opérations énonciatives sont à la base de la situation d’emphase : la topicalisation et la focalisation.

L’emphase par la topicalisation

En grammaire de l’énonciation, une relation prédicative comprend deux participants (un agent et un patient) et, pour lier les deux, un relateur. D’une manière caricaturale on assimilera l’agent au sujet (S), le patient à l’objet (O) et le relateur au verbe (V). La relation prédicative sera ainsi symbolisée : <S V O>. L’un des deux participants peut être topicalisé, c’est-à-dire mis en exergue. Si les participants S et O sont des pronoms, leur topicalisation leur confèrera une forme spécifique et, en même temps, l’autonomie par rapport au relateur, du moins pour celui qui n’en avait pas. En effet, on sait qu’en tem le pronom objet, le O de la relation prédicative, est autonome ; ce qui n’est pas le cas du pronom quand il occupe la place du terme S de la relation.

Soit la relation prédicative <ba (S) da na (V) bɔ gɔɔnáaɁ (O)> dans le contexte de l’énoncé suivant :

bíya   sɩ sɩ   ba   da na   bɔ gɔɔnáaɁ
enfants   ils disent que   ils   n’ont pas vu   leurs mères
        S   V   O
Les enfants disent qu’ils n’ont pas vu leurs mères

Pour topicaliser S, on l’évince de la relation <S V O> et on le met en tête, bref on le préjette. Il devient alors ST (S topique), mais il laisse sa trace sous forme de S dans la relation qui devient <ST <S V O>>. Rendu autonome du relateur, ST reçoit une forme différente ; il devient bam (lire ce mot et, par la suite tout mot comportant une séquence finale Vm(Ɂ) avec un accent sur m) tandis que S, lui, reste ba :

bíya   sɩ sɩ   bam   ba   da na   bɔ gɔɔnáaɁ
enfants   ils disent que   eux   ils   n’ont pas vu   leurs mères
        ST   S   V   O
Les enfants disent que eux, ils n’ont pas vu leurs mères

Le pronom objet tem, le O de la relation prédicative, est autonome, on vient de le voir. Sa topicalisation ne lui apportera donc pas une autonomie qu’il a déjà mais une forme propre au pronom en situation d’emphase. Soit la relation prédicative <bɔ gɔɔnáa (S) ta na (V) wɛɁ (O)> dans le contexte de l’énoncé suivant :

bíya   sɩ sɩ   bɔ gɔɔnáa   ta na   wɛɁ
enfants   ils disent que   leurs mères   n’ont pas vu   les
        S   V   O
Les enfants disent que leurs mères ne les ont pas vus

Pour topicaliser le terme O il suffit de lui affecter la forme propre à un pronom topicalisé, laquelle est bamɁ pour le G1 pluriel ba :

bíya   sɩ sɩ   bɔ gɔɔnáa   ta na   bamɁ
enfants   ils disent que   leurs mères   n’ont pas vu   eux
        S   V   OT
Les enfants disent que leurs mères ne les ont pas vus, eux

L’emphase par la focalisation

La focalisation dont l’objet est d’identifier un être parmi d’autres met le pronom en situation d’emphase. Si l’on choisit de focaliser le terme O de la relation prédicative <bɔ gɔɔnáa (S) ta na (V) wɛɁ (O)>, wɛɁ sera préjeté hors de la relation :

bíya   sɩ sɩ   bam     bɔ gɔɔnáa   ta na
enfants   ils disent que   eux   c’est   leurs mères   n’ont pas vu
        OF   focalisateur   S   V
Les enfants disent que ce sont eux que leurs mères n’ont pas vus

Ici c’est encore la forme bamɁ que prend le pronom objet focalisé. C’est toujours la même forme quand le terme S qui est focalisé, comme ici :

bíya   sɩ sɩ   bam   ba   da na   ná   bɔ gɔɔnáaɁ
enfants   ils disent que   eux   ils   n’ont pas vu   c’est   leurs mères
        SF   S   V   focalisateur   O
Les enfants disent que ce sont eux qui n’ont pas vus leurs mères

La forme bamɁ est construite à partir de ba. Le complément est un autre simulacre de suffixe qui transforme le vrai suffixe Hb en bH, le tout affecté d’un coup de glotte : bHɁ. Le segment b affaibli par la voyelle du faux radical devient m.

Ainsi donc, en situation d’autonomie, tous les faux radicaux se laissent suffixer par mHɁ. Le fait est que le faux radical ʋ a une audibilité faible à cause de sa propriété -Ouv. En se laissant fermer par une consonne, qui plus est assombrissante, elle risque d’aggraver sa faiblesse. Pour y échapper ʋ affecte une copie d’elle-même en soutien à m qui devient alors le C d’une nouvelle syllabe CV ; l’opération transforme ʋmɁ en ʋmûɁ. Voici donc le tableau des formes de l’emphatique (E dans le tableau) selon qu’il indique un genre (G dans le tableau) ou le pluriel (P dans le tableau) :

  EG   EP
  |   |
G1 ʋmûɁ   bamɁ
G2 ɖɩmɁ   amɁ
G3 kamɁ   sɩmɁ
G4 kɩmɁ   tɩmɁ
dense     bɩmɁ

En autonomie donc, le pronom se présente sous une forme dont la structure s’apparente à celle du nom, c’est-à-dire une structure faite d’un radical et d’un suffixe.

Récapitulons

Pour s’adapter aux genres le pronom prend quatre formes :

G1   G2   G3   G4
|   |   |   |
ʋ   ɖɩ   ka  

Pour s’adapter au pluriel par genre et au dense il prend cinq formes :

G1   G2   G3   G4   dense
|   |   |   |   |
ba   a      

Pour s’adapter à la situation d’autonomie dans l’énoncé en fonction objet le pronom prend quatre formes par rapport au genre :

G1   G2   G3   G4
|   |   |   |
yɩ HɁ   ɖɛ HɁ   kɛ HɁ   kɩ HɁ

et cinq formes par rapport au pluriel :

G1   G2   G3   G4   dense
|   |   |   |   |
wɛ HɁ   yɛ HɁ   sɩ HɁ   tɩ HɁ   bɩ HɁ

Pour s’adapter à la situation d’autonomie dans l’énoncé en situation d’emphase le pronom prend quatre formes par rapport au genre :

G1   G2   G3   G4
|   |   |   |
ʋmûɁ   ɖɩmɁ   kamɁ   kɩmɁ

et cinq formes par rapport au pluriel :

G1   G2   G3   G4   dense
|   |   |   |   |
bamɁ   amɁ   sɩmɁ   tɩmɁ   bɩmɁ